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Ces gens, devant toi, ont fait grandement attention. S’il y avait eu, dans ce que tu as dit, du bonheur pour eux, ils l’auraient vu. Ils ont pensé que même pour toi, il n’y en avait pas. D’ailleurs, ils ne nient pas : cela sera peut-être un jour. Mais mal placés dans leur tombe pour en juger, qu’en verront-ils ! Leur tant parler de l’avenir, les fait trop penser à leur mort. Ils veulent la tienne.

Maintenant c’est bien bien sûr, tu ne la verras pas, — cette Révolution dont le lendemain fameux, doit rendre les hommes tous heureux. Même son hier, ton dernier demain ne le verra pas.

Tu as beau te débattre… — Emmenez le condamné.

Justice suprême ! Révolution, révolution…

J’en appelle… Pour me pourvoir, rien que quelques jours…

Révolution… d’ici ma mort viendras-tu ?


— Fou impatient, feras-tu le tour du monde avant ce soir ? L’évolution de l’homme, fastidieux océan, précipite-la dans ce trou dans le sable : ta vie ; tasse bien, qu’elle tienne toute ! Toi dont la cervelle, forêt touffue de savoir, gazouillante d’idées, est plus vaste que toutes les cervelles des hommes, enfant précoce, découvreur des pays où tu n’as pas été, toi qui veux relever la faillite de Dieu et te promets à toi-même le Paradis, parle-nous donc de la Terre Promise, toi qui sais !

— Moi qui sais ? Non pas ! Non !… Je n’en viens pas, j’y vais.


Ah ! si seulement un seul en était revenu !

O grappes merveilleuses qui vinrent au désert ranimer la confiance lassée d’Israël, prouvant l’au-delà fertile de ce sable infini…

Ah ! si seulement un seul en était revenu !

Alors l’humanité se dresserait en hâte, toute joie de vivre ressuscitée… — Mais pas un. Il faut croire sans avoir vu. Il faut croire sans qu’un seul nous dise : j’ai vu. L’éloquence des meneurs d’hommes s’est tarie, la confiance est séchée que versaient les prophètes, ceux qui vont en avant s’arrêtent, se retournent : nul ne les suit. Dernier effort que fit l’espérance des hommes, par quatre fois, la Révolution s’est ruée. Elle s’est abattue, et a laissé ses os, elle, la dernière de tant et tant de religions qui cheminèrent portant l’homme par les déserts et qu’il abandonnait quand elles tombaient, lasses. Et lasse aussi, l’humanité s’est abattue, ayant continué quelque temps, toute seule, à pied, les yeux au sol, tout mirage dissipé, pas un signe n’animant le cercle qui l’entoure, mer ou désert, du Nord au Nord, par tous les points de l’horizon, du Nord vers l’au-delà du Nord, par l’infini.

Et jamais arrivée.

Et ces paroles-ci qu’un homme tasse sous lui, et remue comme de la cendre où rougeoie quelque espoir — espoir éteint sitôt qu’on le veut ranimer, — ces mots, ces phrases, bêtes de somme, qui plient sous le poids des idées et qui devaient, croyait-il, aux hommes épuisés,