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Doutez-vous que ce soit juste ? Vous avez beau commander le silence. Je vous dis qu’on m’entend du dehors, et peut-être chaque instant qui hésite tue un des vôtres… — À mort ! — Au fond de votre cœur, voix de l’honneur, de la conscience, devant Dieu et les hommes, — oui ! coupable, la mort. — Eh ! bien donc ! Avec quoi ? Il y a des armes ici. Gardes, vos sabres ! Juges, jurés, prenez donc… — Finissons-en. Frappez vous-mêmes — tout de suite !

Ils n’osent pas.

Éternelle justice, sur l’honneur, la conscience, devant Dieu et les hommes… Justice enfouie au cœur humain, comme dans une cave, et qui sitôt qu’on la tient à la main, a peur, voyant le jour ! Non ! on ne meurt pas pour elle, on ne tue même pas, on fait seulement tuer… Mais il en est une autre, une qui frappe elle-même et donne sa vie. Pour la crier, on meurt. — Mais on m’a entendu.

Elle est. En quel pays ? En ceux où nous allons…

La Terre Promise !…

— Mais savez-vous… — Je ne sais pas… je ne sais rien.

— Promise ! Qui a promis et doit tenir la promesse ?

— Moi. Je me suis promis à moi-même. Et j’ai tenu.

— Tenu ! C’est donc en rêve !

— Mon acte l’en a jeté hors.

— Si ce n’était un rêve…

— J’ai réveillé du sommeil où on les fait.

— Dormir est doux.

— On en a le temps après la vie.

Et toi que j’appelais du fond de la Misère, que je croyais la Justice, Justice de ce temps-ci ! Justice de sang, toi qui ne sais que frapper, Justice ! Je croyais que tu n’existais plus, tant mes sanglots vainement avaient crié vers toi… — Te voici ! La magique vertu du sang t’a évoquée. Viens tuer, viens verser le sang, viens « juger », comme tu dis… Ton heure est arrivée, Justice d’au-delà du crime. Des crimes ont été commis. Sors de ton repaire ! — Ils ont tout, et nous rien. Ils prennent notre travail, notre manger, nos femmes. Ils laissent mourir de faim nos enfants… Ils nous pillent. Sans raison, toutes les joies de notre vie, ils les gardent… — Siège donc, tribunal où se distribue la mort, baume suprême des souffrances. Viens juger… Viens venger… Non pas un homme, tous ! Élargissant ton geste de barbare, frappe au-delà de moi ! frappe tous les coupables ! tant et tant que ton nom profané de Justice, s’agrandissant au-delà de ces murs, couvrant le monde, il en faille un plus pur… — Viens à nous, Révolution !

II

Pauvre homme, voici le bout de ta colère et de ta vie.

On t’écouta. On s’amusa, On va te tuer.