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nuit, le vieux coq de France a chanté. Mais d’autres vont répondre. Déjà le bois murmure. Toute la campagne, toute la forêt va s’éveiller.

Et les gens s’en iront au travail en chantant…

Gaîment, gaîment, dans l’allégresse matinale… L’herbe est humide encore des larmes de la nuit.. Mais le soleil monte : bientôt, nos tâches terminées, toute la journée, la belle journée, — pourrons-nous pas nous reposer ?

Il y a assez pour tous. Moi, riche, je vous le dis. Riche… je vais l’être. J’aurais de tout, bientôt, tout ce qu’il faut… Il faut très peu pour ne pas vivre.

Du pain ? Non. Du repos… Oh ! tant que j’en voudrais…

Du pain et du repos, pour vivre, tant qu’on voudrait… Et vous aussi, quand vous voudrez…

Il y a assez pour tous et pour chaque besoin…

Sauf un, celui de nuire…

Mais on le voudra moins quand on aura moins faim… Cri des plèbes romaines, cri des serfs d’autrefois et de toujours, des populaces mal bâillonnées, cri des bombes aujourd’hui, mot que profèrent les murailles même en s’écroulant : Du pain et des loisirs ! À manger et à jouir…

Du recul que donne la mort, — me retournant pour tirer la porte sur ma vie, — je vois la société les mains pleines de richesses, mais les levant très haut pour qu’on ne prenne pas…

Il faudra bien qu’elle baisse les mains pour se défendre. Elle lâchera prise, et il y aura assez pour tous.

Quel Dieu osa dire plus… À chacun selon ses besoins ! — Quel Dieu a tant promis ! — Nous autres on aurait tenu.

Le ciel… Oui, sur la terre, et dès que l’on voudra…

À la sueur de notre front…

Et à tout le sang de nos martyrs, s’il le faut… Nous l’atteindrons.


J’ai crié du fond de la misère, vainement.

Insensé, j’avais cru qu’il suffisait d’avoir raison.

J’ai prêché. Missionnaire chez les sauvages, briseur d’idoles, aux hommes ahuris j’ai dit la bonne parole. J’allais, sûr de moi-même, enseignant le bonheur, moi le plus malheureux de tous. Hélas ! J’aurais voulu donner la foi à toute la terre !

Ils n’ont pas cru que j’étais sincère.

Ils cherchaient les raisons que j’avais, non si j’avais raison. Quel intérêt me poussait ? Le leur ! — Ils ne s’en souciaient.

Ils venaient à moi avec de basses curiosités. Je voulais leur bonheur. Ils voulaient s’amuser.

Je parlais d’une œuvre immense à accomplir, à eux qui ne m’écoutaient que pour se reposer. M’écouter ! J’apportais le pain précieux à des ivrognes. Ils voulaient boire, ces crevants de faim, et non manger. Curieux, ils l’étaient de l’homme et non de ses idées. Ils venaient à qui donnait à railler, ne trouvant personne qui osât se moquer d’eux,