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qui peut rassurer les lâches, se mettront ensemble, pour ce que tu as fait seul : un meurtre. Tu mourras.

Du sang ! Du sang… Les honnêtes gens sont venus voir.

Allons ! triomphateur étale tes conquêtes. Portes du cœur, les oreilles, closes aux raisons, s’ouvrent aux menaces. Parle ! Quelle chaire, quel piédestal plus haut as-tu rêvé ? Impatiente du jeu, déjà la foule trépigne. Donne, donne-lui ton acte sanglant à dévorer. Enthousiaste, héros, criminel, officie ! Missionnaire qui reviens des contrées populaires, homme saint, que la souffrance et la misère ont consacré, les fronts sont prosternés, élève bien haut l’hostie, — car c’est elle que les hommes adorent, — du sang, du sang.

— Mais je n’ai rien voulu que ce bonheur des hommes. On dit qu’il est en eux. Je l’ai cru, je le crois…

Oh ! lever les trappes qui les empêchent de descendre au fond d’eux-mêmes !

— Du sang, du sang. C’est du sang, nous, que nous voulons. Les honnêtes gens t’écoutent et veulent de toi du crime. Ce n’est pas vrai, tu n’as pas tué pour le bonheur des hommes. Tu as tué comme on tue toujours, parce qu’on veut tuer, parce que c’est naturel et que ça fait du bien, comme l’on fait la chasse aux bêtes dans les bois, comme on égorge les petites filles qu’on a violées, comme on défend à coups de fusil des drapeaux, et comme nous allons te tuer tout à l’heure !…

Donc comparais ! cause d’un mal entre tous les maux dont nous saignons, toi assassin entre tout ce dont nous mourons, toi, rebut de la rebutante société, élu de la douleur, gorge de la pauvreté qui s’est mise à hurler, terreur qui vas servir à l’épouvantement, sentinelle perdue des pauvres en campagne, dont la prise va donner l’éveil à l’ennemi, criminel, deux fois criminel, pour avoir tenté, pour avoir échoué, ô criminel du crime immense des vaincus, toi qui secouas tes chaînes et ne les brisas pas, brave qui seul de tous as marché à l’ennemi, — le voici. Du haut de son tribunal, il t’attend. En champ clos, code en main, et toi chaînes aux mains, il relève ton défi au nom de la société, car il est lui, ou se croit, et semble — La Société, — et toi, le Crime, même pas le Crime, un criminel…

Quoi ! pas une voix ne dira ton blason, pas une main ne déliera tes mains ! Pas un des tiens, pour t’assister…

Chevalier des pauvres, champion de la souffrance, seul, comparais ! Tu as les armes des pauvres : pas d’armes, — leur gant de défi : les mains liées. Ainsi tu es bien eux, et devant la Justice, au nom de la souffrance, toi, la Souffrance, — comparais.

Et toi. Justice, quand comparaitras-tu ? Toi qu’on n’a rencontrée que le fer à la main, toi que l’on appela vainement du fond de la misère. Justice d’après le crime, absente pour le bien, et qui surgis dès que tu ne peux plus que frapper, ô mère qui caresses de tout le poids de tes mains de fer, manteau qui devrais couvrir, et qui étouffes, flamme qui ne chauffes pas ceux qu’elle ne peut brûler, Justice qui