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En débarquant à Constantinople le prince s’installa dans un conak de Stamboul. Le conak prit feu grâce à la persistante colère d’Ismaël. Mais Halim et sa suite échappèrent à cette troisième gracieuseté khédiviale ; on dut chercher alors un yali assez grand pour loger le prince égyptien, et celui du Keurfesse fut choisi.

Cependant l’impossibilité de ruiner le prince ayant ramené le vice-roi à la raison, les choses s’étaient arrangées peu à peu en Égypte. Un soi-disant prince polonais, espion d’Ismaël, attaché à la personne d’Halim, persuada à celui-ci que le mieux était : renoncer à tout espoir de rentrer au Caire et accepter le revenu d’un million et demi que l’Égypte s’engageait à lui payer.

La perte de son domaine de Choubra fut la plus cruelle pour le prince Halim. Il hésita longtemps avant d’accepter cette proposition, enfin le Khédive eut la joie de voir les choses terminées selon son désir et il donna au polonais trois millions à titre de backchiche.

Tout un monde d’esclaves et de niamelucks abandonna alors la Choubra, les uns pour venir rejoindre le maître dans son yali de Stamboul, les autres pour s’entasser dans un palais du Caire habité par une femme divorcée du prince, à qui celui-ci avait conservé son train de maison.

Quand le yacht royal qui amenait la fille aînée du prince, suivi de tous ceux ou de celles qui avaient le bonheur de venir partager l’exil du maître, jeta l’ancre dans le petit golfe, l’orchestre du bord joua la marche égyptienne et ce fut un grand déchirement pour le cœur des maîtres et pour celui des esclaves. La malheureuse princesse, dont la beauté, l’élégance et la générosité étaient proverbiales en Égypte, ne put, malgré sa grande fierté, garder une attitude de souveraine en quittant le vaisseau égyptien. Elle pleura comme une simple fellahine.

On vit alors le curieux spectacle du débarquement de tout le harem, et celui des caisses contenant les vêtements et les trésors. Et cela dura trois jours.

VI

Pendant une semaine entière le yali de Keurfesse retentit des cris, des larmes et des serments de vengeance poussés par toutes les femmes du harem. Elles se trouvaient mal logées dans ce yali meublé à la turque et regrettaient le luxe de Choubra. Sur le parquet, de fines nattes couleur de blé mûr remplaçaient les riches tapis, et les sofas étaient misérablement couverts de cretonnes aux couleurs éteintes, avec des lambeaux tout blancs et des rideaux blancs aux fenêtres ! Les odalèques claquaient des dents et s’enroulaient dans des couvertures de laine ; elles marchaient dans les grands corridors nus pour se réchauffer, car le changement de climat les faisait beaucoup souffrir.

Les eunuques vaquaient tristement aux soins de la nouvelle instal-