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Les musiciennes accordaient leurs instruments, tandis que leur chef d’orchestre, une belle circassienne âgée de vingt-cinq ans, leur indiquait les morceaux du programme. Il faut remarquer que la mémoire musicale est prodigieuse chez les femmes turques : elles reproduisent aisément et avec variations un morceau entendu trois ou quatre fois. Un professeur européen qui voudrait leur apprendre selon sa méthode les principes musicaux n’en obtiendrait cependant rien de bon. Il faut les laisser à leur méthode primitive et aux avantages d’un don précieux.

Les chiboukidjés couchaient le tabac doré dans des chibouks aux bouts d’ambre enrichis de pierreries. Ceux qui s’ornaient de gros rubis devaient être présentés au vice-roi et aux vice-reines, et ceux enrichis de diamants aux princes et aux princesses de second rang. Les plateaux destinés à porter ces longs chibouks étaient de pures merveilles. Ils étaient grands comme des assiettes à soupe et faits d’or massif. Au fond de chacun d’eux était figuré un jardin avec au milieu un palmier entouré d’un serpent d’émeraudes et de diamants qui mordait les dattes simulées par de gros rubis ; au pied du palmier coulait une rivière en diamants. Le trésor du prince comprenait douze de ces magnifiques plateaux.

Déjà les chiboukidjés, suivant leur rang, s’avançaient l’une après l’autre précédées d’un eunuque qui écartait la foule des esclaves. Les cafédjés disposaient leurs draps de soie brodés de perles et d’or avec poussier de diamant et leurs zarfïes d’or semés de saphirs. Chaque tasse posée sur un zarfle devait être portée sans qu’une seule goutte de café fût renversée jusqu’au divan, situé à trente pas au moins de l’endroit où le café était versé.

Les danseuses pliaient leurs reins en arrière aussi bas que possible et secouaient tout leur corps d’un frisson d’amour gracieusement mimé. Tous les bijoux du trésor étaient répandus sur elles et elles penchaient la tête comme des fleurs aux corolles pleines de rosée. Les chanteuses ne parlaient plus pour ménager leurs belles voix de contralto. Elles étaient vêtues de pur linon blanc tissé de fils d’ananas et leur cou très dégagé portait des perles fines enfilées à des soies blanches. Leurs cheveux étaient couverts de hotoz blancs en tartalane d’Orient piqués de fleurs de jasmin.

Un à un s’allumaient les grands palmiers d’argent. Au pied des colonnes de marbre blanc on pouvait voir des esclaves pieuses qui priaient accroupies sur leurs tapis de velours jaune. L’immense bassin s’emplissait du murmure d’une eau limpide coulant par la gueule des lions de marbre. Des chapelets d’ambre retenaient des gobelets d’argent massif pendus à la crinière des lions. De jeunes esclaves y venaient boire furtivement ; elles regardaient de leurs yeux élargis leur propre image reflétée par l’eau du bassin. Une journée passée au hamman avait donné une fraîcheur nouvelle à la peau soyeuse de ces jeunes femmes ; leurs yeux soigneusement agrandis par le castec et le s uriné brillaient d’un éclat extraordinaire. La peur de faire un