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jours et sont remplacées par douze autres. Le service de nuit est fait de même à tour de rôle pendant huit nuits par une odalèque qui s’étend chaque soir sur un matelas de satin en travers de la porte donnant dans la chambre du prince. Le piquant est que cette garde de nuit est souvent montée par des esclaves antipathiques au maître de la maison. Mais, chacune des esclaves achetées pour ce service ayant droit à huit nuits de garde, le maître les subit, respectueux de l’ordre des choses. Les huit jours de chacune de ces dames sont réglés suivant l’état de leur santé. Elles prennent le bain réglementaire, un séjour de quatre à cinq heures dans un hammam n’étant point de trop pour les embellissements méticuleux d’usage.

Quand l’une d’elles devient mère, elle n’apparaît devant le prince qu’un an’après la naissance de l’enfant ; elle prend dès lors le titre d’Oumil-Bey quand c’est un fils et d’Ouma-Hanem quand c’est une fille. Un nouvel état de maison surgit qui ne suscite nulle haine, nulle jalousie, tous les enfants étant légitimes.

Les mêmes usages règnent chez le sultan et les princes impériaux.

V

Le prince avait décidé que la fête donnée en l’honneur du Khédive aurait lieu dans la division de la vice-reine douairière, sa mère. La veuve de Méhémet-Ali était si imposante et si belle encore avec ce grand air, apanage des souverains autocrates, qu’Ismaël se sentait peu à l’aise devant elle. Elle était veuve du chef de la dynastie et blâmait ouvertement la tyrannie du Khédive envers les fellahs, lui prédisant les inévitables embarras que devait amener le désordre de son gouvernement.

La veille de la fête, la grande kaifa (dame du Palais), ordonnatrice des fêtes, fit venir les trésorières, les cafédjés, les chiboukidjés, les chanteuses, les musiciennes, les danseuses et les servantes des tables, et le rôle de chaque groupe fut réglé selon la coutume.

Les eunuques, personnages importants, seuls intermédiaires entre la vie du harem et celle du dehors, se promenaient oisifs d’appartement en appartement ; ils regardaient tous ces préparatifs, riant, et se moquant de la coquetterie des femmes. Leur chef, Billal Agha, se munissait de ses bijoux et s’inquiétait de savoir s’il devait recevoir la vice-reine sur la troisième ou sur la première marche de l’escalier. La crainte d’un possible exil pour son prince inspirait quelque humilité à l’orgueilleux personnage. C’est que le chef eunuque du palais impérial a un rang équivalent à celui du grand vizir ; les ministres redoutent ses intrigues. Dans quarante ou cinquante ans ils n’auront plus à les redouter, il n’y aura plus d’eunuques, même chez le sultan ; c’est un luxe qui passe.

Les femmes prêtes pour le rôle qu’elles avaient à jouer se groupaient dans l’appartement de la reine douairière.