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d’être reçus à Choubra et le quittaient enthousiasmés de l’accueil qu’ils y avaient reçu.

Le prince Halim, qui était du type le plus pur de la race bédouine, avait la parfaite distinction des grands seigneurs orientaux. Ses yeux splendides, d’une beauté inquiétante, son nez fin aux narines toujours palpitantes, ses dents blanches sous ses moustaches brunes, son pied nerveux et cambré chaussé par le meilleur faiseur de Londres, contribuaient à faire de lui un type accompli de grâce et d’élégance. Il dépensait royalement ses immenses revenus, et Choubra étant au cœur même de l’Egypte, le vice-roi Ismaël avait été bientôt inquiet d’un pareil voisinage. Les rapports entre le prince et le vice-roi étaient vite devenus plus que difficiles. Déjà, Halim-Pacha avait miraculeusement échappé aux fameux attentats contre les princes héritiers. Sur un pont rompu d’avance d’après les ordres du Khédive, le train qui emmenait tous les prince invités à une fête khédiviale s’était effondré dans le Nil. Non seulement Halim se sauva, mais encore il arracha son mameluk préféré à la mort.

Comme le vice-roi écrasait d’impôts les fellahs du prince, celui-ci voulant tenter une dernière démarche conciliatrice auprès de son neveu Ismaël, lui offrit une fête à Choubra. Il faut dire que le trône d’Egypte, revenant au plus âgé des princes de la famille royale, Halim Pacha ne pouvait régner qu’après la mort de son neveu Ismaël et du prince Mustapha-Fazil ; celui-ci d’ailleurs ne survécut pas longtemps à son exil.

À cette fête de Choubra, tous les princes furent invités avec leur harem ; les plus belles femmes du royaume se trouvèrent réunies ce soir-là dans le merveilleux palais. Le harem du prince Halim se composait de cinq cents femmes, vivant dans le palais. Il était partagé en beugluks (divisions). Il y avait la division de la reine douairière, femme du fondateur de la dynastie Méhémet-Ali ; la division des princesses ; la division de la grande princesse de l’ortenja hanem-effendi, etc., et celle de chaque enfant arrivé en âge d’avoir un train de maison.

Ces immenses appartements avaient leurs services distincts, leurs esclaves, leurs eunuques, leurs hammams, leurs voitures. Cela faisait, en réalité, plusieurs états de maison réunis en un même palais. Les salles y étaient si grandes que les petites esclaves nouvellement achetées s’y égaraient, et prises de peur s’endormaient en pleurant au pied, des immenses candélabres d’argent, en forme de palmiers, alignés en avenue. Les princesses de la maison se rendaient cérémonieusement visite une fois ou deux par mois et se faisaient annoncer selon toutes les règles de l’étiquette. Les dames du Palais avaient entre elles le même souci de la hiérarchie et des grandes manières. Rarement une réelle intimité unissait entre elles deux divisions.

Le prince rend visite aux princesses chez elles, et les femmes élevées au rang d’odalèques sont de service à tour de rôle près de sa personne. Douze d’entre elles font le service de jour pendant huit