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désirait aller se promener du côté du yali du prince égyptien. Et Hussein, qui ne savait rien me refuser, m’emmena dans son caïq. Justement le prince et sa suite s’apprêtaient à partir dans des caïqs à trois paires de rames lorsque la barque entra dans le petit golfe de Keurfesse.

Hussein passa respectueusement au large, mais enlevant vivement ma robe je m’entourai d’une large serviette aux couleurs vives et je sautai à la mer. Je nageais comme un poisson ailé et tout en fendant l’eau je promettais mille largesses au pauvre Hussein ébahi : « Si le prince m’adopte, tu seras mon bach caïqdjé », lui criai-je.

Je nageais toujours et mon cœur sautait dans ma poitrine glacée par l’eau. Le prince et sa suite regardaient avec curiosité cette enfant qui s’approchait d’eux. Le pacha me demanda doucement si je n’étais point fatiguée : « Non, puisque je te vois, fils de roi », lui répondis-je en rougissant comme un beau coucher de soleil.

— Aidez cette enfant à sortir de l’eau et amenez-la-moi, ordonna le prince qui rentra précipitamment au selamlec.

IV

— Que compte faire Votre Altesse, pour sa conquête sortant des flots amers ? demanda un vieux monsieur français, aux allures de grand seigneur.

— Vous savez quels sont mes projets, répondit le prince. Les arméniens qui ont recueilli cette enfant la croient anglaise, je la laisserai donc complètement libre jusqu’à l’âge de vingt-un ans. À ce moment, elle choisira elle-même le genre de vie et la religion de ses préférences. Jusque-là elle sera au harem, d’où elle sortira à sa guise. Je la veux libre, forte, vigoureuse, indépendante.

— C’est l’exil qui vous donne de telles idées républicaines, monseigneur ! dit en riant le vieux français.

Le prince tourna la tête du côté du Bosphore et, secouant les cendres de son cigare dans un tavela d’argent massif placé près de lui sur le sofa, dit simplement :

— J’espère survivre à la douleur d’avoir quitté l’Égypte et Choubra.

Son exil cruel durait depuis six mois, et, perdant subitement l’espoir de le voir cesser, le prince songeait à se créer une nouvelle existence. Lorsqu’il reçut au Caire l’ordre impératif d’avoir à quitter l’Égypte, il avait cru cette chose impossible. Il était le dernier des fils de Méhémet Ali et la plus belle partie de l’Égypte lui appartenait. Son nom était synonyme de puissance et de grandeur ; le charme de sa conversation, son amour des sciences, des arts et des lettres, qu’il protégeait en prince généreux, l’avaient fait célèbre.

Tous les hommes illustres passant en Égypte sollicitaient l’honneur