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bre, elle avait aisément pénétré dans le joli yali de Balta-Liman : elle poussa la gracieuse F. Hanem à faire mille folies qui obligèrent son mari, aide-de-camp de Sa Majesté, à demander le divorce.

Parmi toutes ces institutrices en quête d’aventures, je dois faire une exception en faveur de miss Albert que j’ai vue, pendant mon enfance, élever les filles du prince égyptien M. F. Elle avait été recommandée au prince par un membre de la famille royale d’Angleterre. Elle a laissé le souvenir d’une européenne honnête : aussi fut-elle aimée et respectée. Cependant je crois qu’on peut dire bien haut : Il y avait une fois en Turquie une institutrice européenne respectable ; elle était Anglaise ! Et malgré tout, cette éducation ne peut qu’amener des désordres dans les idées des jeunes musulmanes. Les princesses, élèves de miss Albert, furent peu heureuses. L’une d’elles veuve du fameux K... Pacha, célèbre à Paris sous le second empire, se compromit gravement avec un juif richissime : elle fut obligée de quitter Constantinople pour le Caire où, depuis l’occupation, elle comble les Anglais de ses faveurs, et elle a plus de cinquante ans ! Les européens semblent, du reste, apprécier beaucoup les beautés des temps anciens : l’un d’eux, riche et aimable diplomate d’un petit pays du Nord, enleva récemment une autre beauté très mûre et très compromise, ce qui fit dire au vice-roi : « Dieu merci (chukur Allah !) quand nos folles deviennent vieilles, il se trouve toujours un européen pour nous en débarrasser »

Tout cela est fâcheux, mais bien difficile à éviter. Les harems riches seront encore longtemps livrés à cette fausse éducation à la française » ; le caractère turc étant fait de confiance et de légèreté, et les ottomans étant dans l’impossibilité d’obtenir des renseignements sur les institutrices qu’on leur envoie. D’ailleurs la foi musulmane est inébranlable, les demoiselles passeront et l’islamisme restera.

C’est une erreur que de croire à la possibilité de l’instruction approfondie chez la femme musulmane. Une erreur propagée par les rares européennes admises pour une heure ou deux dans un harem. Elles n’ont point compris le vrai caractère de la famille et du ménage turcs. Les maris d’aujourd’hui connaissent le danger d’épouser les filles de grandes familles qui ont reçu l’éducation française. « Mademoiselle » leur apportait de mauvais romans et se chargeait des billets doux adressés aux attachés d’ambassade qui, sans elle, eussent été privés de toute distraction orientale.

L’homme sage n’apprécie que bien peu l’amour en dehors du harem ; il aime ses aises et a peur de l’inconnu. Il épouse l’esclave circassienne, belle et saine, et, dans son harem, il est si bien gardé, si bien épié qu’il ne peut se passer ces fantaisies qu’on lui prête. Avec l’esclave qu’il a épousée, il a ses odalèques (femmes de chambre) et, s’il distinguait une esclave du harem autre que celles désignées par le titre d’odalèques, il serait obligé de l’installer dans une maison à part, et ce serait la paix du ménage compromise et son repos perdu. Aussi la police des harems est-elle merveilleusement faite et la