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Agir ! Faire ce que les hommes nomment : une action.

Est-ce que, par hasard, il aurait réussi…


Réussi ! Mais alors, ce ne serait pas un livre. Un hymne ! Des cantiques… des actions de grâces ! Toutes les bouches chanteraient la joie de tous les cœurs… Qui donc oserait parler d’une voix isolée pour célébrer de telles choses ! Qui donc… — Mais des plus humbles, des âmes les plus basses, l’enthousiasme ferait des poètes ! — si un homme…

— Un homme ! Mais ce n’en serait plus un ! À deux genoux, nous tous, priant et adorant…

Tous, tous, même ceux qui se croient riches aujourd’hui… on adorerait…

Bien plus qu’un Dieu… — qu’on craint seulement, — on aimerait…

« Celui qui apporta le Bonheur sur la terre… »


Si cependant un poète, — de tellement de génie — donnait, par la magie d’un rêve de géant, l’illusion — rien qu’un semblant : une illusion — que cet homme — était-ce un homme ? — a réussi, entendez-vous ? a réussi !

Il a agi ! lui, le pauvre !.. — Il a agi ! Ce fut pour le Salut du monde ! Il a crié si fort sa misère et la nôtre, qu’on entendit… Un acte… — Lequel ! — Parbleu ! un crime ! Un meurtre, des meurtres, n’importe, une chose de sang, une lâcheté cruelle, une action enfin, mais qui fut le signal que tous, morts et vivants, depuis des siècles, attendons. Clairon qui souffle du sang, diane d’allégresse rouge, qui doit soulever les dalles des tombes vermoulues, secouer le sommeil lourd de ceux qui ne sont plus, qui réveillera les morts, toute la foule des morts des révoltes passées, — tout ce qui dort, semble mort, et se résigne en nous, — nos âmes, cimetières d’espoirs évanouis, — et qui dressant debout les couchés à jamais, — pour la grande bataille, jugement, — le dernier ! celui qui fera élue ou réprouvée la société, le monde meilleur, ou bien son néant à jamais, — rendra vie aux cadavres et courage aux vaincus, et te rendra donc à nos cœurs lâches, toi, Révolte !

Oh ! l’illusion ! le rêve que cela va s’accomplir ! Rien qu’un peu d’illusion, le semblant que cela est, le semblant, pour un instant, — un peu d’illusion, — d’ici la dernière page…

Mais tu le peux, puisque rien de tout cela n’est vrai… Fiction seulement ; reflet du monde sur une âme. Pourquoi cette âme, miroir enchanté, miroir d’or, qui reflète seulement quelques rayons venus d’ailleurs, les renvoie-t-elle nus, sans les tremper de joie ?

Fouille dans ton cœur, tâche d’y trouver un peu d’espoir. Pour colorer un peu la vie des pauvres gens, trouve, délaye un peu de poudre de bonheur resté des illusions pas tout à fait ternies ; fais beau-