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Six régiments ! Six beaux régiments étincelants !

— Messieurs, je ne vous demande que dix minutes de résistance ! Dix minutes. Cela suffit pour qu’il n’en reste pas un. Et ils se sont rués, et l’ennemi stupéfait, s’est arrêté, en s’écriant :

— Ah ! les braves gens !

Ce n’est pas dix minutes, messieurs, pas dix minutes, c’est une seule seconde que l’anarchie vous demande.

Et ce n’est pas, voyez-vous, pour sauver la patrie. C’est pour l’humanité, pour toute l’humanité !

Ça ne vous dit rien ? Ça n’a ni galon, ni drapeau.

Écoutez. C’est vous d’abord, c’est la patrie, et vos enfants, et votre famille, tous les vôtres, et tous les autres, et toutes les familles des autres, et toutes les patries, et toute la planète, si tant est que jamais nous ne montions plus haut ! Et c’est l’avenir, et ce sont les petits qui naîtront, qui, comme nous, venant on ne sait d’où, vers on ne sait où, de la mort à la mort s’arrêtant à la vie, voudraient, dans cette auberge où ils passent si peu de temps, trouver bon feu, bon gîte, hôtesse accorte et le reste, pour repartir contents.

Au nom de l’humanité, beaux régiments, courage ! Quelques minutes, quelques minutes de résistance !


La mitraille pleut. Les hommes tombent. Le ciel rougit.

Les six beaux régiments… — il n’y a plus de régiments !

Oh ! les braves gens ! Rudes gars aux cuirasses étincelantes… Dans le fossé, pêle-mêle, pieds, têtes, armes, âmes et chevaux.

Il reste de cela ? Ici de la chair pourrie. Là-bas, des femmes qui pleurent.

La poudre se tait, ainsi qu’a fait la vie.

Vers le ciel les nuages de poussière s’évaporent. Du ciel le calme et le silence tombent. Un peu de poudre encore, fumée, panache blanc, rien, vapeur, ombre, moins encore, plus rien : un peu de gloire.

La France pas sauvée. La douleur plus énorme…

Pour la gloire, seulement ! — quelques minutes de résistance !


Regarde. Voici la ville. Immense, lumineuse. Paris ! La grande rumeur, la magique lueur. Elle t’attirait jadis. Nuits brûlantes d’espoir… Une voix retentissait. Quelqu’un, de la ville, t’appelait, te disait : Va ! Il faut. Sois le Messie…

Une voix te commandait d’aller sauver les hommes.

Regarde. Voici Paris. Des lueurs, des rumeurs. La voix parle toujours, elle se plaint et t’appelle. Qu’y a-t-il de changé ? Rien. Écoute, regarde…

L’humanité souffre toujours.

Chaque matin, chaque soir, flux et reflux de travail aux grèves du capital, la misère va porter ses richesses aux riches.

Il manque un être, une femme, que tu aimais, que tu as tuée. Il