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Tu tuais pour faire mal, ils tuaient pour faire bien. Deux stupidités. Nul ne savait ce qu’il faisait. Mais à présent tu n’es ni un gamin féroce ni un soldat aveugle. Tu as réfléchi, et tu agis, responsable. Et le crime que tu commettras est odieux, et justement parce que ce crime a une idée. Du juge, du soldat, ça ne sait pas ce que ça fait, ça tue comme les bœufs paissent, comme tu tuais, enfant, parce que c’est féroce, que leur instinct d’homme est de tuer, féroce, ou simplement docile, que ça obéit, ou en un mot que ça fait son devoir.

Le devoir, — l’idée des autres.

Tu as la tienne. Quelle est-elle donc, l’idée que tu as qui peut se changer en un acte ? Est-elle nouvelle, puisque tu veux qu’elle change le monde ! Est-elle puissante, puisque tu te dresses en conquérant, au-dessus des hommes, toi, tout seul, ayant raison.

Mais puisque les hommes ne veulent plus !

La Revanche ! Derrière soi un peuple, c’est la Révolution. Elle fait ce qu’elle veut, elle est la voix de tous, elle ne répond de rien ; le vent passe ; tout se courbe. Mais toi, individu, qui crois savoir mieux ce que tu fais qu’une foule, tu répondras, pour tout le sang que fera couler une idée même la plus haute et généreuse, tu répondras.

Les plus stupides, sans que nul en réponde, en ont tant fait verser ! Vides et niaises phrases des responsabilités. L’histoire jette là-dessus de telles pelletées de terre ! La Révolution, la grande et victorieuse, a vidé de pleins tombereaux de choses vivantes et pensantes, pour jeter quelques bases de son œuvre inachevée. Et une bataille, la moindre, pour un lambeau de pays, jette bas que de milliers d’existences tronquées ! — Et moi, libérateur, pour le bonheur humain, je ne disposerais pas de quelques existences !


L’œuvre, une machine grosse comme le poing peut la faire. Une aiguille tourne, quand elle en sera à tel point, les murs s’écrouleront et les vies affolées s’enfuiront loin des corps, un cri épouvantable arrêtera ceux qui passent… Pour affaire, pour plaisir… ils passent. Halte ! Écoutez ! — C’est le cri de ceux que vous écrasez. Vous ne saviez donc pas que vous faisiez souffrir ?

De quelle chaire parlera-t-elle, quel piédestal la mettra en haute lumière, la petite machinette à la puissante voix ?

Sous un palais quelconque, somptueux, inutile ?

Chez tous ceux qui détiennent des portions d’injustice, — autorité, propriété, servilité. Juges, prêtres, soldats, financiers, — ou bien les employés des administrations ?

Ou la foule, la simple foule et grande coupable. Meurtre anonyme de l’anonyme ! Du peuple-roi !

Emblème, sans frapper de vivants, frappe un emblème. Ici, tiens, cette statue de ville que les Français pleurent, l’ayant perdue, et où couronnes, drapeaux attestent haut regrets, lâchetés, et crient vengeance, dans le silence de ceux qui n’osèrent pas se venger, et laissèrent dans son lit mourir roi l’oppresseur. — Plus loin, cette pucelle,