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Et voilà tout. C’est tout simple.

Comme ils s’aiment !

Il n’a plus, à présent, la vision qu’elle est morte. Il n’a plus devant lui le cadavre, là, par terre, la flaque rouge, la chair bleuissante et crevée, l’odeur âcre…

Traînée de dégoût que laisse la vie en s’en allant…

Non, c’est elle, plus loin, encore, bien plus loin que cela !

C’est elle jadis, c’est elle tout enfant, toute jeunette… Ils marchaient dans les bois, en se tenant par la main, car on craint tant de se perdre quand on s’aime depuis peu !

Plus loin encore… Quand ils n’osaient pas se parler.

Fumée d’or de cheveux… Son âme s’y évapore.

Regard trouble des yeux ! Son âme s’y endort.

Il tombe, enfin ! — C’est elle ! C’est elle plus loin encore. C’est elle tellement loin que cela n’est plus rien…

C’est du sommeil… du bon sommeil, d’au bout de tout.

Oui… c’est lui : le sommeil. Il frappe pour qu’on lui ouvre. Toc, toc ! au fond du crâne. Toc ! toc ! à coups pressés. Ça danse, ça danse… C’est le sommeil qui entre… Et puis ça tourne, cela s’en va… On ne sait plus.

Personne. Il faisait très froid et grand silence.

Il émergeait péniblement d’un long sommeil. Il se traînait jusqu’à une conscience précise, une idée qu’il avait laissée près de lui en s’endormant, et qu’il ne retrouvait plus. Péniblement, de ses sensations engourdies, il tentait de dégager un : où suis-je ? et qu’ai-je fait ?

Bah ! rien. Du passé. Ce n’était plus.

À présent il n’y avait qu’un mur, très long, devant lui.

Ce mur devait être dans ou près de Paris, où sa course de fou, comme un phalène aux flammes, sûrement l’avait ramené. Prés de Paris. À droite, maisons éparses, champs maigres. À gauche ce mur.

Mur étrange. Il était si long, si long…

Jean longeait ce mur, qui tournait et continuait encore. Il semblait revenir pour lui barrer la route.

Jean alors avançait ses mains contre le mur, comme pour l’écarter. Mais les pierres en étaient si douces, si tendres, qu’il s’oubliait à les caresser comme de la chair, ces pierres molles, ces pierres charnues, ces pierres vivantes…

Il longeait de nouveau le mur, le mur sans fin.

Il se ruait pour l’abattre, il le démolirait, il verrait au travers — ce qu’il y avait de vivant derrière cette façade. Il plongeait ses poings dans la pierre flasque, les retirait pleins de sang, et se ruait encore. Ah ! le mur éventré pantelait donc ! Il voyait…

Le mur n’avait pas crié, s’était seulement plaint très doucement, ne sachant pas pourquoi on lui faisait du mal, comme ces innocents que le peuple exécute, qui ne savent pas que nés rois ils avaient avant de naître commis tant de forfaits.