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Terre Promise  [1]
quatrième partie
RÉVOLTE
IV

À la volée, comme cloches enthousiastes de Pâques, comme les grelots tintant aux marottes des fous, les rues, les bois, les champs dévalèrent dans son crâne, fuite éperdue, tumulte, cascade de visions ; — car il fuyait, sans but, n’ayant qu’une soif d’espace, la gorge serrée de la foule des idées qui se pressaient, ne pouvaient passer, tassées dans leur hâte d’être une fois criées ; et son geste seul semait, emplissant l’étendue ; il se hâtait, courait, semant, semant toujours, ainsi qu’un laboureur qui doit avant le soir ensemencer jusqu’aux confins de l’horizon, — il courait, les gens se retournant sur lui, il courait, mais si vite que nul ne pouvait l’atteindre, et nul ne pourrait l’atteindre, même le temps, entassant heures, jours, semaines, années, car son vertige allait plus vite que l’heure qui passe, que la nuit qui se précipite et dévore le jour ; le sol même, acharné à sa suite et courant dessous lui, reculait devant ses pas, le ciel effarouché se sauvait au-dessus de lui, et devant lui c’était toute la nature qui fuyait ; — ses pas si follement rapides à battre l’espace, sa tête les devançait, entraînait, et ses pieds arrachés, saignants, se laissaient traîner, remorqués au-delà des choses qui sont fixes, par la tête lancée à des vitesses d’astres.

Nuit louche… — Ondes vagues des rêves et vapeurs indécises. Mauves gluants de l’aube, choses molles de l’air, et molles des pensées…

Des gens… des rues,..

Il passe, il ne sait pas… Des champs, des plaines… Il va toujours… — Quand donc s’arrêtera-t-il ?

Il s’arrête. — Silence !… C’est Elle. La voici.

— Georgette.

— Oui, moi.

— Tu m’aimes ?

— Viens.

Elle a posé sa main très douce sur son front. Et cette main cueille toute la douleur qui est dedans…

  1. Voir La revue blanche depuis le 15 août 1897.