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Exposition Bœcklin à Bâle


Bâle n’est pas peu fière de son beau musée, le premier de la Suisse, — et le culte qu’elle voue à la mémoire du plus illustre de ses fils, Holbein, montre bien qu’un grand artiste ne passe pas dans un état social sans en modifier quelque peu l’aspect et les habitudes. Cette ville de banque et de gros commerce dont la prospérité date de haut, ne semblait guère à première vue propice à l’éclosion et au développement d’un artiste quelconque ; cependant les Bâlois prétendent à beaucoup en ces matières : si on devait les croire, tout l’essor artistique allemand leur serait dû. En la personne de Holbein, ils se glorifient de l’homme qui sut, lors de l’épanouissement du xvie siècle, porter à son plus haut point la forme germanique du portrait, l’homme dont l’œuvre reste comme un modèle de conscience, d’honnêteté, de force, et même de grâce, de cette grâce toute spéciale et attendrie, si chère au cœur et à l’esprit allemands.

Mais, si grand que soit un passé, il ne peut être mauvais d’y ajouter. Ce que Holbein fut en son temps, Bœcklin l’est de nos jours ; là-dessus, tout Bâlois est, depuis un mois, catégorique. C’est le premier peintre de son époque, dit-on dans les gazettes, et on l’y dit d’autant plus fort qu’on ne s’en doute que depuis peu. Il a fallu toutes les trompettes d’Outre-Rhin sonnant la gloire du vieil artiste pour que ses combourgeois s’en aperçussent. On s’est informé. Bœcklin touchait à ses soixante-dix ans ; l’occasion était là : un « Jubilé Bœcklin » fut décidé.

Trois salles de la « Kunsthalle » bâloise furent donc garnies des œuvres qu’on y put réunir ; le Musée en possédait quelques-unes, ce fut le fonds ; des amateurs tant suisses qu’étrangers offrirent leurs collections, et près d’une centaine de toiles furent ainsi rassemblées. On y joignit des dessins et des peintures de la première jeunesse, jalons précieux pour suivre l’évolution de ce curieux esprit ; dès l’ouverture la foule s’écrasa.

J’ai passé une heure à examiner cet œuvre, et le résultat de ce long effort de cinquante années semble m’apparaître assez nettement. Bœcklin est une belle intelligence, mais un esprit inquiet. De bonne heure, il a dû sentir que peindre est une tâche d’élection qui oblige à d’autres efforts que ceux ordinairement tentés par ses confrères ; aussi la tension est-elle chez lui continue ; toile par toile, il expérimente, essaie, recommence, se trompe, et finalement triomphe, mais d’un triomphe singulier, qui n’est pas décisif et doit laisser d’intimes angoisses au fond de cette âme supérieure.

Bœcklin fut tour à tour hanté de tous les rêves, et de toutes les ambitions : ambitions de forme, de couleur et d’expression. Certaines de ses toiles déjà anciennes semblent conçues sous l’inspiration de Poussin ; on y reconnaît de nobles désirs, mais l’écriture est molle,