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Non. Il n’accepte pas la richesse telle quelle. Pas plus que la pauvreté. On a de l’honneur. Pauvre, l’on vole ; et riche, on donne.

Ainsi avant d’ouvrir les mains on les tient hautes, pour montrer qu’elles sont pleines. Et lui devant cette richesse vivante qu’il adore, avant de la tuer, avide, il s’en remplit les yeux.

Chérie ! Chérie ! La peau un peu lasse de baisers, n’est-ce pas ? Il y avait encore un vague hoquet d’amour, dans le râle très doux qui berçait ton sommeil, le copieux sommeil d’après le bon éreintement.

Tiède encore, chaleur des dernières caresses, elle dormait, la chère et pure prostituée. Mais l’oxygène, sifflant entre la lèvre et les dents, venait fraîchir en douce brise la fièvre des nuits chaudes, gouttelait une rosée d’aube sur la tension des nerfs, pour la refaire dispose à de nouveaux baisers, à de plus tuantes orgies.

Toute chérie ! J’avais fait un fils dans ta chair, et je t’aime, toute belle, toute chérie !

Tu dors… Tu ne sais pas ! — Tu ne dormirais pas…

… Si tu savais que je t’aime tant, chérie ! chérie !


Et maintenant élève ton bras où la lame brille…

Une dernière fois regarde-la sourire…

… Elle, en dormant, calme, comme une enfant, — heureuse…


Et toi, aussi, République, tu dors tranquille ! On te laisse dormir. Tu es belle, souriante. Et facile ! Beaucoup ont eu de tes baisers. Dors ! Dors ! Les affamés te regardent dormir.

Quand l’heure sera venue, sois sûre qu’on te réveillera. Horrible réveil ! Puisses-tu d’un pied si agile et si sûr, faire le saut du sommeil à la mort qui t’attend, que tu ne voies pas le gouffre de sang qui les sépare.

C’est ton amant, ton premier amant… — c’est le Pauvre ! Il t’attend. Celui qui te fit femme, et que tu as trahi. Repens-toi, tu t’étais pour toujours donnée à lui, sous les plus augustes serments. Prostituée, tu l’as lâchement abandonné. Tu as été aux riches, tu t’es vendue pour de l’or. Lui t’aimait. Tu as sali ses rêves. Lui t’aimait. Tu as empoisonné sa vie. Tu as cru que jamais il n’oserait se venger, que d’un baiser et de quelque monnaie satisfait, il accepterait un rôle infâme, et que la honte, la faim et son amour pour toi… auraient raison de lui.

Il est venu. Il vient réclamer tous ses droits.

Comment ! Il savait donc…

Qui donc l’a averti ?

Ce n’est pas un prêtre. Il ne les écoute plus. Ce ne peut pas être un prêtre. Est-ce que ce serait un Dieu ?

La Bonne Parole s’est répandue sur la terre…

À nous, apôtres, messies, venez à la Bonne Parole. Il faut qu’on sache. Il y a du nouveau sur la terre. Il y a du nouveau qui est venu du ciel.