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Vainqueurs, non pas ! tant qu’il y aura des vaincus !

O vous tous qui tenez le loup par les oreilles, tenez bon ! — Dans vos mains, le vaincu, le captif, garde encore la victoire, et vous n’y toucherez pas !


O tête cariée, chicot qui rages et ne peux mordre, chose vaine, fardeau douloureux des épaules, puits de souffrance, intarissable, intarissable… Ah ! t’arracher, te trancher, quelque justice, quelque échafaud — t’ôter de moi… !


Peut-être, oui ! Mais il faut mériter pour cela.

Mériter, oui. Le devoir. Écoute. Dans le silence… Dans le silence de la prison — et de toi-même, — au fond de ton cachot, au fond de ta conscience…

— Agir !… Oui, toi ! Toi seul. Agir. Agir !

— Quoi donc !

— Tout ce que tu peux.

— À moi tout seul !

— À toi tout seul. Tout ce que tu peux.


Patience ! les murs de la prison vont s’ouvrir.

III

Libre ? Au travail.

Besoin de rien ? — Non, repassez ? — Oh ! pas pour le moment ?…

Cherche de l’ouvrage !

Galonné de prison, que n’as-tu rengagé ! Dans le civil, toi, de l’ouvrage ?

Non, il ne cherche pas. Il en a, de l’ouvrage.

Il a la joie, d’abord, et s’y livre tout entier. Joie de réveil, ayant dormi, ne sait combien de temps, — ayant dormi un atroce sommeil de cauchemar…

Mais il se retrouve ; et le matin clair fait la vue nette, les idées arrêtées, les résolutions prises.

Et avec joie, avec la joie même de tous, il s’abandonne au flot de la foule qui le mène, flux et reflux des plages dorées du capital, un de ces animaux coutumiers de l’étrange vie, libérés, eux aussi, mais seulement pour une heure : le manger ou le dormir.

Et lui va être de nouveau un de ceux-là qui acceptent la misère qui crée le travail, le travail qui crée à son tour la misère, être le bon cheval attelé il ne sait à quoi, qui mange, dort, et tire… obéit, — s’abandonne.

Changé ? Non. Rien ne change. Le soir tombera ce soir comme il faisait avant, et la ville souffre et rit comme lorsqu’il l’a laissée.