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Mais elle s’échappe quand même ! Les seuls liens la tenant ferme seraient des chaînes de tendresse, des soucis de pain pour d’autres, des besoins de femme ou de joie… Ici, rien ; elle est libre.

Travail, pain, gîte… Triste, oui. Mais l’âme est libre !

Hors le monde ! L’âme le contemple, face à face. Elle n’est pas une partie du monde. Hors de lui… Mais elle alors elle voit, elle est libre, — elle peut…

Agir… non. Pas encore, il faudrait que le corps l’aide. Le corps est là, prisonnier…

Patience ! Les murs de la prison vont s’ouvrir.


Hors le monde…

Loin des hommes, dans le sable du désert, entre des murs de prison ou sous l’ombre des forêts, loin des hommes — sont nées toutes les idées qui devaient changer l’homme. Orage venu du désert. Révolution ! souffle de la solitude sur les sociétés, vent qui passe, bouleverse, arrache les choses mortes, fait place…

Apôtre de la solitude, messie de la religion sociale où nous fûmes nourris, Rousseau avait appris au fond de sa retraite, comme au désert, Jésus, et comme Bouddha, comme Mahomet, — loin des hommes, — que l’homme déteste profondément son semblable, qu’il le rabaisse s’il ne peut s’élever au-dessus, et qu’il lui fait toujours de mal tout ce qu’il peut, — et pourquoi les bienfaiteurs d’hommes, afin de pouvoir du bien aux hommes, les fuyaient. Leur sympathie n’allait qu’à du vague et des mots, car la pitié pour la douleur présente, et que malgré soi, tant la vue en est forte, on partage, n’est encore qu’une forme de ce besoin de mal qu’on nomme autorité, et qui rabaisse, qui souille d’aumône, charité ! — Joie qu’on entoure de misère pour la faire ressortir.

Le jour erre lentement aux murs de la prison. Plus monotone que cette lueur tombée des grilles, dont le cercle semblable met seul un changement au décor qui l’entoure, le prisonnier tourne et retourne dans sa cage étroite, met les mains sur sa tête, devant lui, derrière son dos, il s’étire et il baille, tourne et tourne dans le même cercle, monotone comme dans son orbite un soleil.

L’astre dont le cercle étroit est toujours identique traîne pourtant à sa suite des myriades de vies qu’il couve, réchauffe, fait vivre !… Et les grands bois et les printemps, et toutes les buées, eaux, vapeurs, végétations, et tout le remuant et vivant inconnu grouillant sur les planètes où nous ne pénétrons pas, viennent du rond monotone que cette boule en feu accomplit dans sa cage.

Elle est aussi une boule en feu qui tourne et retourne, la tête du prisonnier fébrile, qui s’exaspère. Elle réchauffe aussi des mondes qu’on ne sait pas. Dans son rond monotone rien ne la vient troubler. Rien ne retient tout le mauvais qu’elle charrie. Mais, enfermé dans le cer-