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aboient. L’homme qui se sauve, peut-être est un voleur, peut-être non ! Pourquoi vole-t-il, pour lui ? pour d’autres ? Qui vole-t-il ? Qui des deux possesseurs possède plus justement ? L’homme ne se le demande pas, et il n’a pas de remords, n’ayant pas réfléchi. Pardon pour ceux qui ne savent pas ce qu’ils font… Voyant courir, ils courent après, en hurlant.

De loin, Jean l’avait vu. Il avait hâté le pas, pris des rues de traverse. À chaque tournant, l’homme avait reparu, plus près. Filé, Pilleux cherchait à dépister, vainement. Vaincu d’avance, bloqué en des rues sans issues, il pouvait se rendre. Mais il continuait toujours. Pourquoi ? Pour rien, par amour de cette chasse qui lui remettait au cœur un peu de vie luttante, active, un peu de joie et de danger.

Mais il était traqué, forcé. Ce n’est plus derrière, mais devant lui que l’homme louche vient d’apparaître. D’autres avec lui.

Dernier effort. Pilleux se sauve à toutes jambes.

Au voleur ! Au voleur ! Quel cri a retenti ! Les maisons cachaient-elles des armées dans leurs caves, ou des pavés un monstre les a-t-il fait sortir ? Quel vent de révolte a soufflé sur la foule lâche, qu’à mille contre un elle est devenue valeureuse, qu’elle s’ébranle, et s’élance furieuse à la bataille, et que devant le fuyard, en un instant, de toutes parts, des barricades s’érigent ?

C’est la Propriété qui se lève, et qui parle.

— Au voleur ! Au voleur !

Comme à la voix de Dieu, les peuples feront halte…

Tous se sont retournés, la foule interrompue a remonté son cours, ils ont crié : Ah ! Oh ! Tous s’y sont mis, comme à la curée le chien qu’on lâche. Et ces pauvres — c’en était, — ces sans-le-sou, ces volés, ces exploités, imposés, tondus, ces miséreux, obéissant à la voix soudaine du maître — ont été chercher ; ils rapportent.

Ah ! quel ensemble ! La Liberté ne crée pas de tels enthousiasmes. La religion n’en fait pas de tels. Même la faim ne déchaîne pas des torrents de révolte si puissants. Sauve-toi, va ! On te traque à droite, à gauche, devant. Les agents seuls n’ont pas de hâte. La foule travaille pour eux, emmène le voleur.

Il faut bien le dire, c’est un beau jour, un grand moment. Il compte dans une vie l’instant d’être seul contre tous, sur le pavois de toutes les haines qu’on a levées, et se gonflant, enorgueilli, grandi, sublime, — de marcher devant tous comme dans un triomphe.


Il eut un peu honte seulement quand le commissaire lui fit remarquer sa rare maladresse, et le peu de chose du vol. C’eût été lui…

Habitué, faisant un métier comme un autre, il respectait l’ouvrage, honorait ses clients, et ne demandait en somme que de bonnes affaires.

Cet homme fut très poli. Pilleux le remercia.

(À suivre). Eugène Morel.