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Repose, enfonce-toi dans ces deux seins profonds, tête douloureuse ! Que ces deux seins venant boucher tes deux oreilles empêchent d’y parvenir la plainte de l’univers. Ils souffrent… Mais tu n’entends plus, n’est-ce pas ?

— Si ! j’entends ! j’entendrai toujours… C’est loin, bien loin. Le sanglot me parvient capitonné de chair… Mais si je n’entendais plus, ce serait en moi-même, que cela viendrait crier formidablement : Je souffre… je souffre…

J’entends, oh ! j’entends bien. Mais je ne puis plus rien…

Je suis las. Laissez-moi…

Je n’irai point à leur secours. Je suis trop las. À mon propre secours, je ne puis pas aller…

La chair tiède et moelleuse… Si je pouvais dormir…

Et cependant je m’agite… je ne puis pas dormir.


Tous, il y a quelque chose qui s’est lassé en nous. Ruines de bonheurs, dont on ne peut pas se resservir, et qui gênent pour bâtir un bonheur nouveau.

Attendre que le temps use, effrite jusqu’à rien, ce qu’il a renversé. Attendre, attendre toujours ! — Mais il use notre vie et notre âme en même temps…

Pouah ! N’est-ce rien cela, cela que la souffrance aiguë s’apaise, croupisse, fasse une sorte de sommeil dessus de la pourriture…

Georgette… Jean… Amants, aimez-vous. Patience.

Amants, gentils aimants… Vous aurez de l’argent.

Il n’importe comment…

Et les souffrances calmées… un peu de patience… on remplacera par un peu de luxe ce qui manque de joie. On bouchera les regrets avec des plaisirs. On mangera bien mieux, en n’ayant plus si faim.

Et l’on aura une belle chambre confortable, gaie, souriante, comme on en rêvait jadis…

Un tombeau honorable pour l’amour qui n’est plus.


Perdus, morts au bonheur, ils auraient voulu rompre ; loin l’un de l’autre, peut-être une vie sortable fût venue. Puisqu’ils ne s’aimaient plus !

Mais ils s’aimaient encore. Mort non pas leur amour, mais la joie de leur amour. La misère tue tout, sauf ce qui fait souffrir, et laisse subsister des liens douloureux.

— Il faut nous quitter, Jean, dit Georgette certain soir. Ils étaient à table, et Georgette était douce, calme, en disant cela,