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l’âge où le présent est tout, l’entre — espoir-et-souvenir. Hâte, hâte de jouir ! Si tu veux voir, il faut agir dès aujourd’hui. Si ton cœur veut se donner, profite que des mains se tendent…

Terre Promise, monde meilleur…

De nouveau elle mettra une fleur dans ses cheveux. Aux guinguettes où le rire et la grossièreté grisent d’une joie poussiéreuse comme la triste verdure qui s’y pend aux tonnelles, misère de campagne et misère de plaisir, où s’usent des guenilles d’arbres et des loques d’amour, elle ira traînailler ses hanches qui s’affalent, chanter, danser et humer le vin bleu qui sort des litres sombres, et les baisers bruyants des lèvres fatiguées. Oui ; d’autres lui prendront sa taille molle et ses lèvres. Elle se perdra au ciel où hissent les balançoires, et le soir les lampions, allumés en guirlande, lui seront des étoiles plus grosses et plus près. Joyeuse, et, par avance gouaillant aux souvenirs dont la douceur viendrait apporter à la fête un étonnement triste et des mines de dégoût, elle n’aura plus la pudeur tendre et l’extase vive, et l’ardente candeur des yeux aux cils desquels venait jouer la folie blonde des cheveux, — mais la grasse franchise, l’inconscience repue, où viennent mordre à belles dents les famines goulues des jeunesses vicieuses.

Jean ! O tête douloureuse, si les rêves que tu portes et que l’os emprisonne, doivent s’éteindre sans avoir brûlé d’autre que toi, tombe, laisse-toi doucement tomber et reposer ! Lourde, ne demande plus aux épaules qu’elles te portent ; lourde, lourde ! — courage, espoir, tout a plié sous toi. Incline tristement et amoureusement, jusqu’à ces seins de femme, qui veulent bien te soutenir. On est bien, là. C’est tiède. Tâche, là, de te calmer. Repose. Dors, tant que tu peux, meurs même, si tu peux… On est bien là, c’est tiède. Tâche d’y mourir un peu.

Tes yeux ne verront pas la Révolte flamboyante.

Tes yeux ne verront pas l’Avenir verdoyant…

Mais des yeux de femme reposent comme de la verdure. Des yeux de femme ont une flamme quelquefois. Regarde, mire-toi, meurs un peu dans ces yeux.

Ils sont las. Leur candeur s’est ternie d’un peu d’ombre ; un peu de fumée sur leur flamme. À leur verdure un peu d’automne. La bouche sourit moins, s’entr’ouvre sensuellement. En prenant trop la forme des baisers qu’elle donna, elle a perdu la forme du franc rire de jadis. Les joues bouffies et roses sont gaies, ont bien repris. Et puis, tiens, si tu veux, plein les mains, plein les yeux, — les cheveux, fumée d’or !

Femme, femme…

Il y a de la joie là-dedans, de la bonne joie à prendre. C’est comme un fruit, c’est bon et tendre, c’est à mordre. C’est du meilleur tout de suite et dans ce monde-ci…

Il y a dehors des gens qui souffrent… Tu disais, en des jours d’amour pur et ingénument fou : que n’aiment-ils pas !