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dormir tout cela… Non, déjà plus rien ne saigne ni ne crie à l’horizon. L’ombre, comme une douleur noire, pèse, pèse sur les plaies. La souffrance écrasée s’abandonne, se livre ; une sorte de sommeil, sur elle, s’est étendu.

Soir qui tombe… La fièvre était lasse, sans doute ?

Elle s’est assoupie. Soir qui tombe… D’autres soirs… Et d’autres… L’habitude recoud les chairs déchirées. On peut parler du mal, lorsque lui-même se tait. Déjà l’on ne pleure plus que des larmes venues de loin… de si loin qu’il y a du sourire dedans ! et qu’on ne les reconnaît plus, ces larmes fatiguées, qui ont tant vu, tant vu, et miré tant de choses sur leur face d’amertume, tant de choses… — même de la joie !

Puis le temps, et l’ouvrage. Besogne de chaque jour. Pauvres, il faut travailler. On n’eut pas le temps de s’aimer, on n’a pas le temps de souffrir. En marche ! Sans s’attarder à la tombe des autres, la vie a hâte de vous mener à la vôtre.

Soir qui tombe. Pleurs taris… La douleur cligne des yeux…


Georgette, Jean… la douleur, quand elle sera venue dormir, tous deux, saisis du vide qu’elle laisse en s’en allant, verront que l’amour qui vécut trop avec elle, s’est mis avec, et avec elle, s’en va.


Ils ne le surent pas tout de suite… Tant que la douleur fut là, pleine de leur tendresse, ils ne se virent pas trahis par le meilleur d’eux-mêmes.

Mais comme la chair après les très longues maladies, une âme toute neuve sort des peines très profondes.

Une âme neuve… — Amants qui ne se connaissaient pas…

Depuis longtemps l’union de leurs yeux s’étonnait… Mais ils ne savaient. Confiants l’un dans l’autre, ils s’aimaient.

Georgette, Jean… Ils se serraient l’un contre l’autre de toutes leurs forces, comme pour que le chagrin, entre eux, ne s’en aille pas !

Longues journées, longues soirées, où ils semblaient attendre… attendre…

Longues, longues soirées…

Le silence rôdait autour de la porte close.

Ils n’avaient pas faim, froid non plus, tristes à peine, À peine avaient-ils de pensée.

Ils avaient seulement peur.

Peur comme de petits enfants, perdus en la grande forêt sombre de l’avenir, seuls, tout seuls… comment sortir ? et voici le froid, voici la neige, voici la nuit. Pas un bruit de vie, une lueur d’œil, fumée d’un toit, haleine d’un vivant… Mère ! où es-tu ?

Comme si les enfants, raison de durée d’amour, rendaient à leurs parents une maternité, ils cherchaient dans la nuit la lueur d’une