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Terre Promise  [1]
quatrième partie
RÉVOLTE
I

L’un en face l’autre, mais déchirée la chair du lien qui les tenait, l’un en face l’autre, mais un grand trou entre les deux, tristes de mauvaise tristesse, amers, haineux, féroces, la misère les laissa donc, les deux amants, Georgette, Jean, l’un en face l’autre, mais pour combler le vide atroce entre les deux, pour remplacer ce qui souriait là, entre eux, — l’enfant ! dernière lueur qui prolonge l’amour, et qu’on garde allumée toute la vie, toute la nuit, rassurante veilleuse que la mort ne devrait point souffler avant qu’on dorme… — n’ayant qu’un surcroît de rage, de querelle, de dégoût.

S’adoucisse la misère ! Elle peut bien les laisser. Ils se déchireront eux-mêmes.


Seuls… Vous êtes seuls. Les amis sont partis.

Certes, ils furent bien gentils. Leur bon cœur jusqu’au bout vous a accompagnés. Jusque chez vous ! Plus loin encore. Jusqu’au soir…

Là ils vous ont laissés, chargés de bonnes paroles…

De vaines, d’insupportables… — mots qui ne servent à rien… — Si ! Un peu cependant… — bonnes et douces paroles, dont l’ennui même fait ce bien, changement de mal, que fait un linge humide aux tempes d’un fiévreux.

Ils ont fait leur devoir. Fêter le petit mort, consoler les parents…

Maintenant voici le soir… On vous laisse, n’est-ce pas ?

Là, tous les deux l’un en face l’autre. Georgette. Jean.


La nuit. Tout est fini. Les amis sont partis.


Aimez-vous, maintenant.


Soir qui tombe… La fièvre monte et brûle. La lumière qui s’en va saigne douloureusement. La nuit froide gagne pourtant, semble en-

  1. Voir La revue blanche depuis le 15 août 1897.