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neige tressaillait, des milliers de petits bras roses secouant leurs langes, et que tous ces berceaux de neige appelaient après leur mère !

— O France ! Je voulais vivre ! pourquoi donc m’as-tu tué !

O France ! est-ce vrai que ces petits si tristes de mourir pouvaient vivre ! Du pain, du lait, n’est-ce pas, ce qu’il faut, un logis, des vêtements… ils ont eu tout cela ! Puisque tu pouvais le faire, et tout ce que tu pouvais faire, tu l’as fait ! C’est accident, c’est maladie qu’ils sont morts. Car tu as besoin d’hommes ; riche, tu es généreuse. Tu es la terre des libertés, et des progrès, et de la fraternité, égalité, ô France ! et n’est-ce pas, chacune de ces petites âmes, qui s’en vont avant l’heure d’un corps trop misérable… — justifierait un crime au jour de la Sociale !

— Courage ! dit le vieux.

N’ayant qu’un mot : courage, il résuma son âme. Il dit au père qu’il prit dans ses bras : courage !

Et l’étreignant à force, le vieux lui en donna.


Tomba la première pelletée de terre sur la tombe.

De terre et de neige.

Beau petit lit blanc, pour bébé ! Regarde, mère ! Tout ce blanc ! Il manquait au berceau, mais il vient au cercueil. La chambre ouatée, tapissée, blanche, et silencieuse, comme elle invite au sommeil !

La lanterne du fossoyeur, c’est la veilleuse.

De la terre, encore un peu de terre.

Mais à chaque pelletée, quelque bonne parole…

Courage ! Encore un peu de terre ainsi, et la Sociale sera proche.

Courage ! courage…

Et ceux qui furent cette nuit de neige, près de ce cadavre d’enfant, crurent bien la voir passer, lumineuse, se hâtant…

Viens ! Viens, Révolution, s’il est vrai que tu viens éteindre la misère ! Viens ! vois ces files d’enfants alignés au cimetière, comme des sillons,..

Sème, sème, Misère ! sème la Révolte future.

Allons ! une pelletée de terre ! Sur celui que la misère tua, une pelletée de terre. Et aussi une bonne parole aux pauvres parents. Vaines, les phrases ! Mort de misère, parbleu ! on le sait… Consolations froides, mais qui réchauffent ; elles sont comme la glace quand on s’en frotte… Courage ! Un jour viendra… Courage !

Un jour où les enfants ne mourront plus de ça.

La quatrième partie au prochain numéro.

Eugène Morel