Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Et il marcha, derrière le triomphateur, vaincu, poussé, forcé d’aller, et roulant des yeux vagues, parmi l’étranger désormais, chez ceux dont il ne sait plus la langue, les pensées, les visages…

On avait eu beau mettre de farouches fleurs rouges ; le ciel les voulut blanches pour le petit, et lentement fit tomber la neige. Pantalons troussés, parapluies ouverts, les pauvres poursuivirent sans s’en inquiéter.

Jean lentement précisait le vague de sa douleur, et dans l’étroit cercueil, dessinait le cadavre, ce petit gosse à lui, qui venait de disparaître. Vouloir la mort, cela se peut, on peut à un vivant ravir chaleur, mouvement. N’avait-il pas voulu assez fort que le petit vive ?

Le cortège avançait. Était-ce bientôt là ?

La neige foulée, écrasée et pilée dans la boue, claquait sous les gros souliers, crottait les beaux pantalons noirs. Un froid humide baignait la chair, et entrait dedans. Des femmes, qui grelottaient, restèrent en route. Les autres avaient un peu pressé le pas ; le cheval même, quoique l’écurie fût bien lointaine, accélérait. On finissait par aller très vite, pour conserver sa vie, tout en respectant le petit mort. Le froid aux os s’abattait sur la procession morne. Il neigeait. Le ciel était gris, la ville triste.

On la traversa toute. Tout Paris ! Que ce fut long !

Pilleux marchait en rêve ; il montait, et c’était une escalade sans fin. Il montait, et ne s’arrêterait que devant un trou immense, profond comme l’Océan, et qu’il remplirait de sa douleur. Il montait, en vertige. Il était le juif maudit qui doit marcher jusqu’à ce que Dieu dise : assez.

Et ce n’était pas encore là.

Des boulevards sans fin, comme des canaux, tout droits, conduisaient leur boue lente jusqu’au ciel veule ; le ciel se laissait tomber sur eux en buée jaune. Alors des rues, des places, entrepôts, bâtisses dont la neige et le Dimanche faisaient des ruines en un désert… Ce n’était plus Paris, mais une ville inconnue, morte, où s’avançait la troupe d’aventuriers sinistres, qui à la queue-leu-leu, derrière le cheval lugubre, traînant l’un après l’autre leurs chaussures délayées, entraient mornes, sans une parole, impuissants à soulever le silence épais de la neige et de la mort.

C’était en des parages où nul n’était venu. Taciturne, la caravane allait toujours, s’enfonçait plus avant dans le froid et la brume, jusqu’aux neiges, jusqu’aux glaces, jusqu’à la nuit… Le pôle fuyait sans cesse, — oh ! le rêve de la mer libre !

Les usines, docks, hangars, murailles, avaient cessé. Ce n’était plus que terrains vagues, plus vagues sous le duvet blanc, La terre se faisait blanche. Le ciel se faisait noir. Paris entier s’était enseveli.

Nappe toute unie. Un pieu, une palissade disaient parfois les choses du dessous.