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vive, petit. Que n’es-tu tout le monde ! C’est déjà beau qu’une fois par semaine, avant qu’ils meurent, les mères fouillées et surveillées, aient le droit de dorloter une heure les chéris.

Le père regardait, étonné. Il ne savait quoi dire et tournait sa casquette …

— Jacques, petit Jacques… tu n’as plus besoin de rien ?

Mais non, père ! La société est bonne pour moi. Elle ne donne pas à manger, mais elle donne à mourir.

Il n’eut besoin de rien le temps que met une âme à constater une joie. Déjà la toux, la fièvre reprenaient le faible corps.

On avait encore droit, mais pour ne pas le fatiguer, on partit avant l’heure. On l’embrassa, on l’embrassa fort, beaucoup de fois. Mais on partit très vite, pour ne pleurer que dehors.

Maintenant… Dimanche !

À dimanche ! On reviendrait, et avec des amis. Il ne serait plus un petit Jacques malade, il se lèverait !

On revint dimanche, avec tous les amis.

Jacques n’était plus malade, et on put le lever, sans peine, sans un effort : il était si léger ! Même on le sortit, dans une grande voiture. On le mena bien loin, dans les champs.

Il neigeait,

La campagne, les champs… y vivre pour toujours, rêve des petits Parisiens.

Que la campagne est triste, quand il neige !


La veille avait été un premier jour de soleil, et la sœur raconta que le petit Jacques, joyeux, s’était hissé de tout ce qu’il avait de force, pour voir ce qu’il y avait de campagne par la fenêtre : la grande cour… Du jardin en cage y végétait.

De même il avait vu la vie : par la fenêtre. Un peu de joie entre des murs y végétait. Mais il y avait les champs… Les champs qu’il avait vu deux ou trois fois… les champs… Ne pleure pas, tu vas y dormir à jamais.

Dans le carré de jardin l’écorce noire de la terre se saupoudrait de bourgeons, petites étoiles de loin qui sont des mondes de près… Sans grand air, sans grande terre, mais avec plein de ciel, des milliers d’enfants de fleurs s’en allaient vers la vie…

Dans les carrés des salles des hauts bâtiments clairs, ils allaient à la mort, les milliers d’enfants d’homme. La dernière neige qui tombe étoufferait le bruit de leurs pas qui s’éloignent ; car elle tombe, la neige, pour tenir chaud aux jeunes pousses, les dorloter et caresser, couvrir de beaux draps blancs leurs petons bien au chaud, Elle vient quand il faut venir, pas comme la société, qui apporte des langes quand il faut un linceul.

Jacques avait souri et s’était mis à penser à un tas de choses, —