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Puis de nouveau, comme un râle, dernier adieu de la douleur, l’enfant, — et cela semble de très loin, très loin, — dit un mot vague qui s’efforce à dire : j’ai mal.

La mère se dresse, le touche, et le sent glacé, qui tremble… Oh ! il ne pleure plus.

Elle le prend dans ses bras, l’étreint d’autant de caresses qu’elle l’accablait de coups…

— J’ai faim… j’ai froid… j’ai mal !

— Jacques ! mon pauvre petit… Je suis ta petite mère, je t’aime !

L’enfant rend les baisers, caresse de ses petites mains. Il n’en veut pas à sa mère du mal qu’elle lui a fait. Il comprend que souffrir, ça fait faire souffrir. Il sait qu’on ne le bat pas quand on a des sous. Heureux, il se pelotonne, aime et voudrait sourire.

Mais rien ne vient de plus à ses lèvres pâlies qu’une plainte pâle aussi et pâle comme un râle :

— J’ai faim… j’ai froid… j’ai mal !

Lentement défaille le petit corps vivant, déjà si peu vivant ! Rouge qui s’enfonce dans la cendre, et si faible, qu’un souffle qui le voudrait ranimer l’éteindrait…

Aussi la mère ne dit plus un mot ; dans ses bras elle le laisse mourir ou s’endormir, elle ne sait. Et lequel des deux sommeils vaudrait mieux, ça, le sait-elle ! Celui sans doute, dont on ne se réveille pas en disant : j’ai faim !

La chair dépouillée de sang comme un lac en hiver, lorsque s’est effeuillé le reflet des verdures, — blanche, s’immobilise, froide, et bientôt de glace. Plus un frisson. Ou tel qu’un passage d’oiseau triste, un peu de murmure sur les lèvres, un mot, peut-être, qui voudrait se poser et grelotte partout.

L’enfant rêve qu’il a faim. L’enfant rêve qu’il a froid…

Ah ! qui imposera donc du sommeil douloureux, où la vie sans pitié prolonge son cauchemar…

— J’ai faim… j’ai froid… j’ai mal, dit l’enfant endormi.


Et maintenant…

Les mots qui viennent du rêve viennent de plus loin que le rêve. Le « j’ai mal » est si loin qu’il ne fait plus souffrir. Un son vague, rauque, un ah ! que respirer entraîne… Ce son épouvantable, la mère le connaît, elle l’entendit à l’hôpital, chez des mourants. La cloche qui tinte la mort au dedans de vous-même, le râle…

Le père pas rentré. Voici que l’enfant meurt…

Femme ! sois libre !

Ni homme, ni enfant. Vends-toi et mange. Sois libre ! Délivrée ! De quel cri de joie, hideux, monstrueux mais subit, elle accueille la douloureuse délivrance… — Mais aussi, cela rend trop méchante, la faim. À force de misère, elle se faisait horreur. L’amant,