Sans doute il a de l’argent. Il le boit. Quand il l’aura bu, il rentrera.
C’est très possible, elle le sent bien, d’avoir des sous, de les boire sans en rien rapporter.
Elle se lève, — et chancelle ; la chambre tourne, la nuit sous ses pas ouvre un gouffre. L’ombre est comme sabrée par des lueurs d’éclairs. Tout danse. Seuls, fixes, des yeux la regardent, dans le noir, des yeux rouges.
Alors c’est la peur, — les monstres, les monstres ! L’enfant les voit aussi ; il appelle. Terrible est sa petite voix qui appelle. Mais quoi ! Chacun pour soi dans l’épouvante ; la mère se sauve. Quelques pas… Voici la porte, la vraie porte, qu’elle tient bien, qu’elle ouvre. Enfin !
C’est le corridor ; au bout brûle le gaz rassurant. Elle n’y tient plus, affolée, claque la porte, laisse l’enfant et descend à la rue.
Et l’air fait un peu de bien, comme s’il nourrissait…
Tandis que là-haut, seul, hurle, hurle l’enfant.
Elle va… ne sait ou. On se retourne sur elle.
Jadis c’était pour dire : jolie fille.
Elle aurait grand besoin qu’on la trouve jolie ; mais on dit seulement : qu’est-ce que celle-là ? Ivre !
Si pâle ! et titubante de cette soûlerie : la faim !
Bruissent les rues ; les boulevards chantent ; les gaz flambent… Oh ! le joyeux fracas de Paris toutes ces ombres qui bourdonnent, bêtes de nuit qui s’éveillent !
Tout devant elle passe fantôme : les lumières elles-mêmes, comme des feux follets reculent devant elle, et les passants, larves errantes, et les voitures, telles que des monstres… — Oh ! toujours les yeux de feu qui la regardent, les yeux fixes.
Des filles errent et s’offrent. La concurrence est grande, il faut savoir les bons endroits. Ce n’est pas d’emblée, par caprice, qu’on réussit. Il y a encore de la peine, mais moins qu’à l’atelier. Socialement les ouvrières se sont élevées. Si c’était complètement… au-dessus de la misère ! — Rougir ? Non. Elles sont fières. Mais elles souffrent, souvent.
Jouir ! être belle ! Monter aussi jusqu’à ce niveau de société où commence la soie, le fard, les parfums, les gants ! Être un peu de tout ça, de l’humanité qui jouit, pour qui la vie toute emmitouflée de choses douces, n’a que des frottements de plaisir, sent bon, se mire, et ne chine pas.
Que faire pour cela ? Rien peu ! Se prêter. Faire semblant de rire, et forniquer sans joie. C’est bien peu de chose ; c’est moins sale que la misère, ça ne prend qu’un moment, ce travail-là. Pas toute la vie ! Et il donne à manger.
Pouvait-elle encore ?