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plus, que par de vaines épigrammes, et la plèbe qu’il avait voulue voluptueuse fut prise d’une immense lâcheté lorsqu’il s’agit de le défendre. Sa mort fut horrible obligé de fuir presque seul, il erra dans les halliers où se déchirait son corps délicat, s’exhortant lui-même à haute voix à se réveiller et à mourir, suppliant ses derniers fidèles de brûler sa tête, de peur qu’elle ne servit de jouet aux insultes de ses ennemis, jusqu’à ce que le poignard d’Epaphrodite lui arrachât la vie.

Néron mort parut plus vivant qu’a son dernier jour. L’amour de la plèbe se réveilla pour lui avec une telle violence qu’il fallut bon gré mal gré lui faire des funérailles solennelles. Galba, l’élu du Sénat, fit renverser ses statues ; mais des mains inconnues couvrirent sa tombe de fleurs, arborèrent son image à la tribune aux rostres et, quelques semaines plus tard, Galba, son successeur, périssait assassiné. On était si fâché de l’avoir laissé mourir qu’on voulait à toute force croire à sa survivance : il courait dans l’empire des prétendues proclamations de Néron où il annonçait sa manifestation prochaine et un esclave qui lui ressemblait, ayant appelé le peuple, agitait l’Asie et la Grèce lorsqu’un centurion le fit habilement assassiner. Lorsque la plèbe vint saluer Othon, l’ami de Néron et le meurtrier de Galba, elle ne crut pouvoir le mieux complimenter qu’en l’appelant Néron ; pour avoir relevé les statues du mort, il provoqua un enthousiasme indescriptible et on ne parlait de rien moins que de massacrer tout le Sénat.


La bataille de Bédriac, qui donna l’empire à Vitellius, l’élu des légions germaines, n’eut point le résultat qu’en attendaient ceux qui la gagnèrent pour lui. Vitellius était plus néronien qu’Othon lui-même : il honora la mémoire de Néron comme celle d’un dieu, refusa le titre d’Auguste et ne sembla tenir d’autre rôle que celui de vicaire de Néron ; mais ce pauvre sire, glouton et lâche, presque stupide, n’était guère du fils d’Agrippine qu’une risible caricature. Presque toujours ivre, il n’apprit pas plutôt l’approche de Vespasien, le restaurateur des traditions, qu’il abdiqua précipitamment et demanda la vie ; mais la plèbe, qui avait abandonné Néron et mal servi Othon, parut comprendre alors que la cause de son successeur était la sienne. On ne voulut point de l’abdication de Vitellius, on força le misérable à retourner au palais qu’il voulait fuir, et la Rome de Néron devint le théâtre d’une Commune sanglante et terrible. C’est en vain que les généraux passent à l’ennemi ; en vain que tout ce qu’il y a de notable se réfugie avec Sabinus, frère de Vespasien, dans le Capitole, comme pour se placer sous la protection des dieux : une cohue de soldats sans chefs et de plèbe sans armes, au nom de Vitellius, s’empare de la Ville ; les maisons des nobles, des riches, sont pillées, puis incendiées ; l’antique temple du Jupiter Civil que Néron avait épargné s’embrase enfin, dévorant ses défenseurs, comme une torche immense qui éclaire l’agonie