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que les enfants naissent qu’il faut leur faire un nid, — la société meilleure !

Dupe, pauvre dupe… comme la vie t’a trompé !

— Ah ! Justement ! Je fus heureux ! On peut donc l’être ! Si je n’avais jamais eu les joies je ne saurais pas… je serais comme tant d’autres, aveugles, miséreux-nés ; on leur parle de la lumière, mais ils ne désirent même pas ! On les ennuie, à tant les plaindre. Que leur veut-on ! En quoi ce que le toucher, l’odeur, la saveur et les sons créent de jouissance peut-il encore se charger d’un surcroît de beauté !

Le monde futur ! Ces gens m’en parlaient tant et tant… La société meilleure ! — J’y voulais bien aller, mais je ne savais qu’y mettre. Je creusais mon ennui comme une nuit d’aveugle, il n’y avait pas, jamais il n’y était entré un rayon expliquant la joie de la lumière !

Je fus heureux… — Qui donc me rebouche les yeux ? — J’ai eu les plus grandes joies et ma nuit est brûlante de cendres que je fouaille en vain pour y refaire la flamme…

Comme la vie était douce… On désirait la vie. Tout jeune, quand on ne sait pas, dès le premier échec on ne songe qu’à mourir. Mais j’ai su. J’ai voulu vivre, et, seulement, pour vivre un peu, je voulais travailler un peu moins.

Je sais, à présent. Le bonheur existe. Il est tout simple. On le peut. Il n’y a qu’à vouloir. Tous ensemble ! Comprenez-moi, écoutez-moi…

— Père, j’ai faim.

Il faut agir. C’est vrai que le rêve paraît fragile. C’est vrai qu’il paraît loin…

Mais cette société-ci — solide ! Elle fuit de toutes parts. Proche ! Mais elle vous chasse ; tous les bras vous y repoussent. On se cramponne en vain. Tes poings seront secoués jusqu’à ce que tu lâches prise. Plus de travail. Cela suffit, vogue vers la Terre promise. Tu te noieras peut-être, ou tu y parviendras. Ici, plus de place. Il faudra bien que tu t’en ailles,..

— Je pars. Qui va me suivre ?

Je pars. Je quitte le travail, qui ne sème que misère. La grève ! Que des jachères reposent la société…

Le bonheur existe. Il est tout simple. On le peut tout de suite. Il n’y a qu’à vouloir, tous ensemble. Écoutez…

Mais écoutez donc… Le bonheur, le vôtre ! Proche, de votre temps, quand vous voudrez… Tâchez de comprendre…

— Tâche de faire comprendre…

Comprennent les pavés des rues où tu te hâtes, du « repassez » de l’un, au « rien pour vous » de l’autre ; comprennent les murs de la mansarde où tu rumines, à voix sourde, faute de pain, des raisonnements secs et de l’espérance claire, comprenne l’herbe avare des portes de la ville, où, seul et libre tu peux crier et gesticuler ta pensée, rien qu’afin d’élargir ta poitrine, et décharger ta tête seule à