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avaient espéré. Il semblait que leur vie avait jailli de terre, où son cours d’égout lent et fétide traînait, et qu’une fois elle avait vu l’air libre, miré le ciel.

Les beaux jours de fainéantise, on réfléchit, on s’exalte ; l’on recompte, avare, sa rancune, et chaque fois qu’on la recompte, on la trouve grossie. Patience ! un jour, ils seraient riches aussi. Avec cette rancune-là, ils achèteraient, peut-être, une heure de loisir au travail quotidien…

On n’était pas vaincu. On reprit le travail. Un peu de repos, il le fallait. Les forces manquaient.

L’ennemi fondit sur eux comme ils se reposaient. Pendant la trêve, il attaqua sournoisement. Il laissa reprendre le travail, et la confiance renaître de la paix, attendit. En hiver la misère ne peut pas faire campagne. L’hiver seul, ennemi du dedans, l’occupe toute. Pas de troubles à craindre : ces gens étaient à bout.

Mais quand le printemps viendrait ? quand, les forces reprises, provisions amassées, tranquilles contre le froid, fiers et braves de l’appui d’un ciel plein de promesses bleues, les ouvriers trouveraient, aux premières lueurs dont le nouveau soleil éclairerait leurs cerveaux, qu’une heure de travail en moins et quelques sous de plus répandraient sur la terre un peu plus de bonheur, un peu plus de justice…

L’ennemi fit, en pleine paix, massacrer les plus braves, ceux qui ouvrent les fenêtres par où la lumière entre.

Pilleux rentra chez lui. Il n’avait plus d’ouvrage.


Dans une guinguette, où d’habitude l’on dansait, les ouvriers s’étaient réunis, et mis beaucoup ensemble afin de réfléchir. Longtemps dans une brume, la houle mauvaise n’avait remué que tourbe, petites querelles, jalousies. Le temps passait ; mais le clair vers la fin était venu. Ces têtes obtuses avaient fait un peu de pensée. À elles toutes, elles avaient fait remonter du fond quelques gouttes d’idées, qui tout de suite avaient surnagé, fait le calme d’où l’enthousiasme coule comme d’une source d’eau vive.

Lui, Pilleux, avait donc parlé, devant le peuple. C’étaient les mêmes qui naguère le raillaient. Sa lourde mâchoire pesait sur les mots, des mots énormes, trop gros pour passer par sa gorge et ses dents. Cette fois, montant à la tribune, dont si souvent, piteux, il était redescendu, — soudain, calme, il avait senti que ses pieds tenaces mordaient bien après le sol, et ne le lâcheraient pas qu’il n’eût enfin parlé. En lui aussi, la houle s’apaise sous l’idée qui remonte du fond, claire, et le courant se précipite emportant tout. Ses dents, qui retenaient si voracement les mots, écluse enfin brisée, leur laisse libre cours…

Par saccades, soubresauts d’abord, les phrases jaillissent. Bientôt ni l’injure, ni l’hostilité de la salle, ni le ridicule, ni les interrup-