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une journée de bonheur, une journée qui dure jusqu’au dimanche soir, toute une journée où se promènent les prisonniers.

III

Voici l’automne, traîné par les vents de septembre. Dernier ciel d’azur pâle, mais ragaillardissant.

Le désir des bois sombres cesse quand est prompte la nuit. Le corps, plus alerte, se hâte vers les clairs espaces, par les plaines hautes, dans les champs moissonnés, sans obstacle à la bise, les coteaux dont le soleil a ruiné les verdures, et que, ruine lui-même, il contemple maintenant d’un triste sourire d’or faible dans un bleu blanc, très vite s’abaissant en des rouges farouches, pour s’aller coucher tôt, comme font les vieillards.

Douce fraîcheur naissante, fraîcheur de tendresse ! Ils s’unissaient des mains, des lèvres, et marchaient vite, fouettant d’espace la tiédeur de leur enlacement. Ils déjeunaient de cochonnailles emportées, et de l’aigrelet rose débité aux guinguettes. La peau frisque, l’esprit gai, ils avalaient le vent dru, plein d’espace, et y semaient leurs baisers.

Cette année-là, déjà, les jours de l’échappée, leur propre joie ne faisait plus que suivre l’enfant qui courait devant, riant à la nature mourante, petite bête lâchée, foulant l’herbe, écrasant les fleurs, chassant les insectes, conquérant ! du soleil dans les yeux, du soleil sur les joues, sauvage pour un jour, heureux ! — heureux comme une joie de l’an passé, la leur ! revenue et courant pour montrer le chemin, courant de toutes ses forces : dis ! tu ne m’attraperas pas !

L’air plus pur. La ville a disparu. Les champs sont comme une mer, et les maisons éparses, voiles blanches, flottent sur la plaine, où se balancent les hauts peupliers, comme des mâts. Des falaises crayeuses, carrières abandonnées, semblent attendre encore la mer qui se retira. Elle y était, voyez : c’est plein de coquillages. L’enfant casse les pierres où ils s’incrustent, décolorés. La verdure recouvre l’ossuaire sous-marin. Océan pétrifié, que l’homme éventra quand même et qu’il domine, de ses maisons blanches, navires à l’ancre sur la mer immobile, solide, pour des siècles calmée.

Le vent souffle pourtant, mais ne soulève pas de vagues, ne courbe que des herbes. Des nuages s’amassent. Le ciel fait ombre sur la plaine. Il faut fuir. De larges gouttes tombent.

Là-bas, une maison. La plus proche. Toute neuve ! Ils y courrent. C’est la seule. Pour un instant peut-être elle s’ouvrira.

Pas de mur. Ni porte, ni fenêtres. Entrée libre ! La maison toute neuve a des entrailles de ruines, hantée de ronces, ses plafonds effondrés, crevés d’arbres. Maison abandonnée, peut-être avant d’être achevée.