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Les hommes aussi, demain, toute la vie, sans espoir, le travail… Mais soumis et bien vus de leurs chefs, les travailleurs, les intelligents, certes, arrivent. Ils se font des positions. Mais les autres, les autres ?

Les insoumis, mal vus de leurs chefs, les stupides, les paresseux… Quel droit ?… Des droits, on n’a jamais que ceux qu’on prend. Passant la tête entre le travail et la faim, s’ils pouvaient voir… si sots qu’ils fussent… si paresseux…

Mais non ! la femme qui tient au sol enlace. — Ne va pas si loin, ne regarde pas là-bas, regarde-moi…

Il les écarte doucement. Mais elles le tirent. Il veut les entraîner. En vain. Il les piétine, se hâte. Mais trop tard, les pieds pris.

Ah ! bêtes de somme, bonnes au travail, au luxe ou à tuer, si, vieilles, plus rien ne se peut tirer d’elles, ni pour le lait, ni pour la peine, ni pour la peau…

Mais n’a-t-on pas le dimanche pour cueillir des fleurs qui se fanent avant le soir ! — Si ! quelquefois, le dimanche…

Sur l’herbe poudreuse, le peuple est allé s’asseoir. Le père a porté le petit, le pain, les litres ; la bourgeoise le veau, le pâté et les verres. Ils mâchent, par terre. Les demoiselles qui passent s’étonnent qu’ils ne broutent pas. Ridicules… ils mangent, le couteau à la main… Ridicules… Ne voient-ils pas qu’ils le sont ? Non… L’herbe, malgré fourmis, immondices, leur sourit. Sur l’herbe, l’on est bien. Très las d’une longue journée, — d’une journée… une semaine ! — on est enfin au lit, au bon lit, duveté, tendre. On s’étend. Pour une heure seulement. Vite, vite, il faut en jouir. Une heure d’herbe verte, après une semaine de murailles. Mais jouir ! on est bien trop fatigué pour cela. Sans goûter la douceur moelleuse du bon lit, on dort tout de suite. On dort sans même se reposer. Ils s’étendent, ayant mangé, et il s’endorment.

Allons ! de bons jours encore ! Le chômage ouvre des fenêtres par où l’on voit les champs.

Les champs ! Toute la vie autre qu’on aurait pu mener ! Le campagnard les aime : il y vit. On n’en peut plus de les revoir, si on les quitte. Et ceux des villes, ce n’est pas depuis trois ans de militaire, ou depuis l’enfance, mais depuis celle de leurs pères, de leurs aïeux, d’on ne sait quand, tellement c’est loin, qu’ils l’ont quittée, cette patrie, ce chez soi de tout le corps et, de l’âme, — les champs…

Oui, de beaux jours. Des poumons et du cœur et des yeux, on respire ! On va loin, le plus loin, jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus. L’enfant, le petit Jacques, déjà est un beau gars. Il était malingre, mais depuis, il reprend. On en a tant de soins, on s’est privé pour lui… L’été a reprisé l’usure de l’hiver, et les pièces rajoutées, ça ne se voit pas trop. Alors, quand on gagne bien et que le temps est beau, il arrive, pas chaque semaine, toutes les deux… trois… —