Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/420

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alors, les beaux dimanches s’en sont allés au diable dans des surplus de travail.

Mais à force… mais à force ! on a vécu, pourtant.

Oui, renonçant à la vie, ils ont durée leur vie. Leur existence d’amour s’est gardée bien intacte. Un peu faible seulement, alanguie ; lavée de tout plaisir, mais bien telle qu’elle était…

Telle qu’une chambre close où l’on n’est plus entré. La poussière et le temps seulement ont usé. Tous les meubles sont là. Ce qui y était s’y retrouve. Ils s’aiment toujours : on ne s’est plus servi de rien.

II

La mansarde est au bout d’un long corridor sombre, qui dégorge ainsi que d’autres, à droite, à gauche, sur l’escalier de six étages tous semblables. Et c’est à droite, à gauche, vingt escaliers semblables le long des cours successives d’une cité. Glandes qui se ramifient en grappes, glandules, cellules, tassées le long du faubourg où elles secrètent leur suc.

C’est l’aube, allons ! Debout, et hâte-toi.

Les hommes s’en vont, rejetant le sommeil. Sous leurs loques, les cheveux orgueilleusement ébouriffés, crasseux et nobles, le torse qui se dresse et la marche qui traîne, on les voit, restes de race forte, solidifiés aux métiers durs, mais que l’alcool a énervés, faisant des tremblements et de louches maigreurs. Les fiers, les braves ! mais les déchus. Sang de guerriers usé de travail et de vice. Gais certes, et forts, la chanson filtrant entre le vin et le mégot, crâneurs, gouailleurs, la blague, fierté de désespoir ! insouciants, mais pâles tous, et les yeux trop brillants dans le blafard des faces, — ils se rengorgent, ils sont les mâles.

Voici que les femelles descendent à leur tour, troupeau minable ; sur elles, l’existence tire plus dur, pèse plus lourd la misère ! Piteuse humanité qui descend au travail. Elles n’ont ni le vin qui donne aux mal nourris des saccades de force, ni le tabac qui endort, ni la liberté de tout cela, ni les paroles qui grisent, idées, grelots qui tintent dans les discussions. Pas de pensée. Elles n’ont que l’humble amour qui pousse comme de l’herbe entre ces pavés qu’écrase le passant et que plus tard elles porteront lourd dans leurs entrailles. Amour de nuit, jour de travail. Tâche assise, sans air ; elles peinent, courbées. Et avant que de naître, l’enfant dans le gros ventre semble déjà au travail, devant l’établi ou la machine qui le secoue.

C’est ce qui fait qu’elles rient, les filles, et sont heureuses, et qu’elles se moquent de ceux qui rêvent d’autres sorts. Les plus belles, si quelqu’un passe, sont cueillies. Mais les autres ! — D’ailleurs, elles ne savent pas. Leur tige les tient au sol. Elles pourrissent dessus.