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La raison du mariage résidait dans la responsabilité juridique exclusive de l’homme : le mariage avait ainsi un élément prépondérant, tandis qu’aujourd’hui il boite sur deux jambes. La raison fondamentale du mariage était son indissolubilité. Cela lui donnait un caractère qui, en face du hasard, du sentiment, de la passion et de l’instinct savait se faire écouter. Elle résidait également dans la responsabilité des familles quant au choix des époux. On a, avec une indulgence croissante pour le mariage d’amour, éliminé les bases mêmes du mariage, tout ce qui en faisait une institution. Jamais, au grand jamais, on ne fonde une institution sur une idiosyncrasie, on ne fonde pas le mariage, comme je l’ai dit, sur « l’amour », on le fonde sur l’instinct de l’espèce, sur l’instinct de la propriété (la femme et l’enfant étant considérés comme des propriétés), sur l’instinct de la domination qui constamment s’organise dans la famille une petite souveraineté, qui emploie les enfants et le patrimoine à fixer physiologiquement une mesure acquise de puissance, d’influence, de richesse, pour préparer de longues tâches, pour établir une solidarité d’instinct entre les siècles. Le mariage comme institution comprend déjà l’affirmation de la forme la plus grande et la plus durable d’organisation en soi : si la Société, prise comme un tout, ne peut porter caution pour elle-même jusque dans les générations les plus éloignées, le mariage n’a plus aucun sens. — Le mariage moderne a perdu sa signification — conséquemment on le supprime.




La question ouvrière. — C’est une stupidité, au fond c’est un indice de la dégénérescence de l’instinct, mère de toutes les stupidités, qu’il y ait une question sociale. Il est certaines choses dont on ne peut faire des questions : premier impératif de l’instinct. Je ne vois absolument pas ce qu’on veut faire de l’ouvrier européen après avoir fait de lui une question. Il se trouve en trop bonne posture pour ne point continuer à questionner, à questionner impudemment. En fin de compte, il a le grand nombre pour lui. L’espoir est absolument passé qu’une espèce d’hommes modeste et se suffisant à elle-même, une forme du Chinois, vienne à s’établir ici : c’était pourtant une chose raisonnable et, à franchement parler, d’une nécessité absolue.

Qu’at-on fait ? — tout pour en anéantir en germe jusqu’à l’hypothèse même ; avec une légèreté absolument impardonnable on a extirpé complètement les instincts qui rendaient le travailleur possible comme classe, possible à lui-même. On lui a donné des qualités militaires, on lui a donné le droit de coalition, le droit de vote politique. Quoi d’étonnant qu’aujourd’hui déjà son existence lui apparaisse dans toute sa détresse (pour parler la langue de la morale, dans toute son injustice) ? — Mais que veut-on ? je le demande encore. Si l’on veut un but, on doit en vouloir aussi les moyens. Si l’on veut des esclaves, on est fou de les élever en maîtres.