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Pensées vagabondes
d’un intempestif


valeur naturelle de l’égoïsme. — chrétien et anarchiste. — critique de la morale de décadence. — morale pour médecins. — sommes-nous devenus plus moraux ? — mon idée de la liberté. — critique de la modernité. — la question ouvrière. — où la foi est nécessaire. — à dire à l’oreille des conservateurs. — mon idée du génie. — le criminel et ses analogues. — la beauté n’est pas un accident. — le progrès à mon sens. — gœthe.


Valeur naturelle de l’égoïsme. — La valeur de l’égoïsme est en raison de la valeur physiologique de celui qui le possède : il peut valoir beaucoup, il peut ne rien valoir et être méprisable. Chaque individu peut être estimé suivant qu’il représente la ligne ascendante ou descendante de la vie. En jugeant l’homme de cette façon, on obtient ainsi le canon d’après lequel se déterminent les valeurs de son égoïsme. S’il représente la ligne ascendante, sa valeur est effectivement extraordinaire, — dans l’intérêt de la vie totale qui avec lui fait un pas en avant, le souci de conserver, de créer son optimum de conditions vitales doit être lui-même extrême. L’homme pris en particulier, « l’individu », comme peuples et philosophes l’ont jusqu’ici compris, est une erreur : il n’est rien en soi. Il n’est pas un atome, un « anneau de la chaîne », un pur héritage du passé. Il est toute la ligne de l’homme jusqu’à lui-même… S’il représente l’évolution descendante, la ruine, la dégénérescence chronique, la maladie (les maladies, en général, sont des manifestations de la décadence, elles n’en sont pas la raison), sa part de valeur est bien faible, et la simple équité veut qu’il porte préjudice aussi peu que possible aux êtres bien venus et forts. Il n’est pas autre chose que leur parasite.




Chrétiens et anarchistes. — Quand l’anarchiste, comme porte-parole des couches sociales en décadence, réclame dans une belle révolte « le droit », « la justice », « les droits égaux », il subit la pression de sa propre inculture qui ne sait pas comprendre pourquoi il souffre, de quoi il est pauvre — de vie… Un instinct puissant le porte à remonter aux causes : ce doit être la faute de quelqu’un s’il se trouve mal… Cette « belle révolte » même lui fait déjà du bien ; pour tous les pauvres diables, l’insulte est un plaisir — il y a là une petite ivresse de puissance.