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allaient bientôt lui infliger le même sort qu’à Li-Tsé-Tching ; s’armant d’une sorte de fureur désespérée, qu’il communiqua à tout ce qui restait de révoltés, il se mit en devoir de dévaster toute la province de Setchuen pour arrêter l’ennemi : non content d’abattre les villes, il fait égorger tout ce qui n’était pas du parti de la résistance à outrance, six cent mille personnes, dit-on. L’ennemi approchant, son délire s’exalte encore : il persuade à ses compagnons d’égorger toutes les femmes qui ne peuvent prendre les armes et donne lui-même l’exemple en immolant ses concubines ; après quoi, il se jette sur les Tartares le sabre à la main, et trouve presque aussitôt la mort (1648)[1].

Un parti ne saurait deux fois recommencer un effort pareil à celui des Li-Tsé-Tching et des Tchang-Lien. Après leur défaite, il fallait que les tao-sséites périssent ou qu’ils s’accommodassent au joug des vainqueurs. Ce fut ce dernier parti qu’ils embrassèrent, et la tyrannie des empereurs tartares n’eut pas désormais d’instruments plus serviles pour l’abrutissement du peuple que les héritiers de Tchang-Kio et de Ouang-Tée, disciples prétendus de Lao-Tse ou du Bouddha.

Mais, comme les idées libertaires sont éternelles, un nouveau souffle devait leur venir d’Occident avec l’introduction du christianisme. Lorsque des jésuites pensèrent, à la fin du xviie siècle, convertir toute l’illustre Nation et l’empereur Khang-Ji lui-même à la religion de Jésus, leur christianisme, habillé à la chinoise, semblait destiné tout au plus à prendre rang dans la hiérarchie impériale à côté des deux autres cultes officiels, dont la tyrannie tartare se sert pour maintenir en sujétion l’âme du peuple. La fameuse querelle des « cérémonies » entre jésuites et dominicains, tant raillée par Voltaire, eut pour effet d’arracher le christianisme chinois à son joug, de le rendre à ses destinées véritables de révolte et d’affranchissement. En quelques années, les missionnaires deviennent un péril social ; on les traite comme des anarchistes incorrigibles et le fameux édit du 28 septembre 1728 interdit l’exercice du culte catholique. Des exemples terribles donnés par l’empereur Young-Tching dans sa propre famille, la captivité et le supplice du prince Yésaké, la mort du prince Sou-Nan et le traitement ignominieux infligé à ses restes, chassèrent bien vite la propagande chrétienne des sphères élevées de l’empire pour la reléguer dans le peuple des campagnes, dans les bas-fonds des villes où elle ne devait plus arrêter sa marche toujours obscure, mais implacable, sapant les bases de l’organisation sociale, excitant une fermentation inconnue depuis la défaite de Li-Tsé-Tching et de Tchong-Lien.

Presque aussitôt, on voit se former des sociétés secrètes, dont il est trop difficile d’apprécier le but et les moyens à travers les documents de la police impériale, mais dont, au début du moins, la

  1. L’Occident est à cette époque livré aux horreurs de la guerre de Trente Ans.