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Le beau temps en bouteille


Elle était belle et bonne, et elle aimait aimer sans avoir de passion définie.

Lorsque, après le gris et le refrogné de l’hiver, éclatait la douceur de vivre des premiers beaux jours, elle regrettait que ses bras fussent trop courts pour embrasser l’amie Nature. Sa pensée lui échappait, s’en allait courir les champs, comme un cabri insoumis. Elle fermait les yeux en la crainte de voir à la fois trop de matières d’étonnement.

Les nuances du fleuve doré par le soleil étaient plus jolies que celle de son iris. Ses mains étaient grossières pour arranger les violettes en leurs vases. Mais elle voulait être heureuse et honorer le concert des choses.

Elle courait aux emplettes dans les magasins. Son bon peuple de Paris sortait aussi des brouillards de l’esprit ; il se montrait en son naturel, facile à la joie et aux amourettes. Le roulement des voitures d’industrie et de luxe résonnait gaiement sur les chaussées. Chez elle, seule, par imagination, elle participait encore davantage aux espérances de ses concitoyens, qui bourgeonnaient, cette année, comme les autres et comme toujours. Son cœur à elle était retiré de la mêlée des intérêts. Néanmoins, elle était comme une amante par l’absolution de ses sentiments ; elle était atterrée de grâce pour l’échéant.

Elle ne manquait pas une occasion de s’attendrir profusément. Elle était le secrétaire de ce qu’il y avait au monde pour être confondu de reconnaissance. Ses atours mignards la débarrassaient des frôlements à résipiscence. Grande, élancée, dans le clair obscur savamment ménagé des pièces de son appartement, elle veloutait le temps de sa vie d’épisodes à déambules discrets. Les faits divers des journaux lui parvenaient comme l’écho d’une existence passée et pitoyable. Les traits de sa physionomie étaient estompés de la touche de l’ineffable.

Elle avait peu d’instants où elle s’arrêtait démarcher de pair avec l’ardeur de sa pensée. Elle était habituée à ne pas faire de différence entre sa volonté et son imagination. Pourtant, il y avait, à cause de la dureté d’une personne ou de malaises physiques, de moments où elle était obligée de s’affaisser sur un siège et d’être hagarde. Les moyens qu’elle nsi lait, en pareil cas, pour se remettre, ne réussissaient pas toujours. Elle ouvrait l’armoire où elle conservait les reliques de son enfance ; il y avait là des poupées, les premiers souliers de bal, des fleurs fanées, des cahiers de pensums,