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les frais d’un imposant train de maison, luxe forcé pour tout blanc et élément de succès non négligeable dans un pays où les négociants européens ont de fréquents et directs rapports avec le Négus et les vice-rois.

Le luxe dont il s’agit n’a rien de commun avec celui des nations civilisées ; il consiste dans le choix du personnel, réside dans l’organisation des caravanes, chameaux, chameliers et charges, dans la somptuosité des harnachements, etc., dans l’usage aussi de quelque mule ou cheval de selle d’un grand prix… À part ces frais indispensables, Rimbaud donnait, donnait : non seulement tout l’argent de poche, mais en nature et jusqu’à ses repas ; il remettait des dettes, avançait pour des insolvables, se chargeait de missions difficiles, rendait toutes sortes de services par son activité, par son intelligence en même temps que par sa bonté. À lui-même, il accordait à peine le nécessaire. Les indigènes d’importance le vénéraient aussi.

On le voit, simple et doux, sur sa mule fière d’un aussi précieux et amical fardeau, parcourant, suivi de caravanes porteuses de trésors et adoré de ses serviteurs, les déserts et cette vieille Éthiopie que hante le souvenir de la reine de Saba. À chaque instant il s’arrête et descend pour porter lui-même sous quelque tente, en quelque case, le bien-être et la paix.

Aux villes, à Adoua, à Gondar, partout, sa personne est la représentation de la justice. Ménélick, devenu empereur d’Abyssinie, prend ses conseils. Le ras Makonnen, gouverneur de Harrar et conseiller politique intime de l’empereur, est un fervent admirateur, un ami dévoué ; héroïque lui-même, il ne voit, il ne jure que par notre héros ; et c’est devenu proverbial dans toute la région, où les syllabes amhariques de ce nom : Rimbaud ! ne tombent jamais sans provoquer aussitôt un respect solennel et religieux. Peut-être nous sera-t-il révélé, un jour, que le récent avantage militaire des abyssins sur l’Italie se doit initialement à notre omniscient poète dont la présence, là-bas, relevait les cœurs, apaisait les compétitions, exaltait les esprits, créait et développait l’industrie.

Son activité, dans tous les cas, y fut incroyable. On le vit bien parfois, enveloppé dans son burnous, sous le soleil chaleureux et devant la mer immense et maudite, se plonger dans une extase d’immobilité ; mais c’était, à n’en point douter, pour s’assimiler quelque mystère créateur d’étranges beautés. Il explorait toujours, surtout en vue d’agrandir son savoir déjà, on le sait, inouï ; et rien dans ses explorations ne lui étant obstacle, ni la lâcheté des hyènes, ni la férocité des tigres, ni le fanatisme des bédouins, il connut encore au Choa des paysages jamais vus par quiconque.


Autant qu’il put l’être, il était heureux. Son pécule grossissait ; on rêve de liberté avançait dans la réalisation. Et celui qui dans