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civilisation, de moralisation. Puis il explora, appliquant généreusement les sciences étudiées. Créer, dans ce pays encore barbare, une société immédiatement au diapason du progrès européen et dont le développement devra donner au monde un exemple harmonieux de mœurs, telle était une de ses dominantes préoccupations. À la suite des ouvrages scientifiques et de technique, il fit venir toutes sortes d’instruments, depuis l’appareil photographique jusqu’au télescope, sans négliger les outils humbles du maçon, du charpentier, du menuisier, etc. ; tous objets dont il se servait lui-même avec une singulière adresse. Son aptitude aux langues, sa faculté d’assimilation aux usages et aux coutumes, devaient fortifier son action ; et il agit de sorte que, après quelque mois d’allées et venues en pays Galla, il était considéré comme une providence devant laquelle toute haine de l’européen s’abattait. Et c’est ainsi qu’il put visiter sans danger des contrées qu’aucun œil d’Europe n’avait osé, jusqu’alors, aller regarder : telle Bubassa !

Mais, et cela devait être (d’exclusifs trafiquants de colonies pouvaient-ils, plus que les médiocrités littéraires d’antan à Paris, comprendre toute la beauté utile des faits et gestes d’Arthur Rimbaud ?), le personnel directeur du comptoir n’approuvait pas, considérant, sans doute, comme perdu le temps que son agent employait à d’autres œuvres que le commerce. Il blâmait,ce comptoir ; d’autant plus que les affaires de Rimbaud, ses expéditions, réussissaient, à merveille et toujours, au point de vue des bénéfices.

On le taquine. Il est triste :

« Hélas ! — écrivait-il à sa mère, le 25 mai — je ne tiens pas du tout à la vie ; et si je vis, je suis habitué à vivre de fatigue. Mais si je suis forcé de continuer à me fatiguer comme à présent, et à me nourrir de chagrins aussi véhéments qu’absurdes dans des climats atroces, je crains d’abréger mon existence. Je suis toujours ici aux mêmes conditions, et dans trois mois je pourrais vous envoyer 5,000 francs d’économies ; mais je crois que je les garderai pour commencer quelque petite affaire à mon compte dans ces paragesci, car je n’ai pas l’intention de passer toute mon existence dans l’esclavage. Enfin puissions-nous jouir de quelques années de vrai repos dans cette vie ; et heureusement que cette vie est la seule et que cela est évident, puisqu’on ne peut s’imaginer une autre vie avec un ennui plus grand qu’en celle-ci ! »


Fin 1881, des troubles se produisent en Égypte qui, se répercutant jusqu’au Harrar, rendent le séjour en la région dangereux pour l’agence. Rimbaud est rappelé à Aden. D’abord, il ne se résigne point. Plutôt que de retourner dons cette « boite », s’il quitte le Harrar, ce sera pour descendre à Zanzibar et entreprendre quelque chose aux Grands-Lacs, dans l’Afrique allemande. Mais les commerçants d’Aden pactisent et font des offres telles qu’il se