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— Va sans t’inquiéter. Comme les arbres qui poussent et s’arrangent entre eux pour jouir du soleil, surgis seulement de la terre ou tu rampes, croîs, grandis et confie l’avenir à la Nature.

— Confie l’avenir à Dieu. Courbe-toi. Crois en lui.

— Crois en toi-même. Révolte-toi !

— Vive la Sociale ! Vive l’Anarchie.

— Dynamitons !

Et chaque matin les chiens venaient se remettre à l’attache…

Plus malheureux qu’avant, puisqu’ils avaient compris.

Voilà pourquoi dans la salle vaste ornée de drapeaux, des rêveurs et des miséreux assemblés, attendant la révolte qui ne venait jamais, s’injuriaient, s’égosillaient, et se brandissaient sur la tête les uns des autres, la rigide stupidité de leurs rêves…

Cependant que l’humanité souffrait toujours.

Et l’on ne peut plus croire à la Révolution !

La dernière fut vraiment trop de défaite et de honte. Il nous restait une foi, la confiance dans le peuple. Non. Il n’a plus de volonté, ne sait plus agir. Aujourd’hui l’homme qui rêve, et veut le bonheur des hommes, s’éloigne de la foule, méprise ses semblables.

Liberté, république, patrie, Dieu, Révolution sociale… quelle idée n’avait pas une fois été niée !

La pensée n’était plus qu’un cimetière de croyances. On parlait de ces grands morts qui agitèrent les têtes exaltées de nos pères, comme l’on vient prier sur des tombes. Même la patrie, dernière religion de l’orgueil humain, vieillie, et revenue de tous les enthousiasmes, la France, la belle France, qu’on avait eu raison d’aimer au-dessus des peuples, terre de révolte, aujourd’hui soumise et modérée, et déchue, et modeste, et sans postérité, triste et calme, vivait en soignant ses blessures, nous racontant à nous, ses fils derniers venus qui ne l’avons pas connue aux jours de sa splendeur, nous racontant ses exploits — et sa défaite.

Ce vieillard descendant aphone de la tribune, et qui, lui et la poudre, jadis avaient parlé si formidablement ! — ces bureaucrates encore culottés de rouge, qui jadis, héros, firent trembler l’Europe ! — et ces ministères et ces Chambres, et ce peuple soumis, minable et amusé, qui ne vote même plus et qui fut en son temps la Révolution Française…

Des belles grappes d’or que le cep étalait au soleil, il ne reste, foulée aux pieds, qu’une vase sucrée, une sorte de sang noir qui croupit dans la cuve. Mais qu’un ferment, un seul tombe sur cette boue fade, et c’est le vin allègre et clair qui pétille et qui mousse ; ce sera l’alcool qui brûle et qui soûle et qui tue. Buvez, ce sera la joie, buvez, ce sera la vie !