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dements de noces croisaient les tôt levés qui vont faire belle la ville, l’aube blafardissant le ciel éveillait la douleur.

C’était la nuit encore, et, coqs assourdissants de ces poulaillers de pierre, les petites machines à réveiller tintamarraient, et se répondant de logement en logement, sonnaient le glas du sommeil, la mort de ces heures de mort qui sont les plus heureuses de la vie, cependant que les tristes chandelles allumées éclairaient à l’avance la route du soleil.

Les amours s’arrachaient, les fatigues s’ulcéraient. Le grand jour devait trouver tous les hommes au joug, et non remis encore du travail de la veille, l’écœurement des cités revomissait les hommes à un travail nouveau…

Ils allaient où l’on souffre, et les faubourgs emplis apportaient à Paris son flux de travailleurs. Déjà la marée, ayant comblé les plus petits trous, les moindres flaques, chacun ayant sa part d’éreintement ou d’ennui, — tous peinaient, c’était bien, — s’en allait pour venir les reprendre le soir. Quand le soleil, venu plus tard, parti plus tôt, aurait fini sa tâche de faire tourner les ombres, combien, dans les sous-sols, les caves et les fonds de cour où les pauvres s’étiolaient ne l’auraient pas vu passer !

Quelques uns avaient, certes, des besognes heureuses. Ils pensaient, luttaient, entreprenaient, et commandaient. Impatients au travail, devançant l’heure, manquant de temps, ils se sentaient grandir par l’œuvre toujours nouvelle, jouissance renaissante, qui les prenait, livrés, cervelle accaparée. Ils n’avaient qu’un ennui : le sommeil qui l’interrompt.

Mais les autres ! Toujours en rond, toujours de même, sans allégresse, front bas, bouche grognante, cheminer un chemin qui mène là d’où l’on vient ; faire ce qu’on faisait, ce qu’on fera, bien ? mal ? égal, de même, sans mieux possible. Aimer le travail, comme le paysan aime la terre ? Mais ne jamais voir ni la germée, ni la récolte, même ne pas regarder le ciel qui en détient le sort, bêcher le sol, rien que bêcher, les yeux bas. La torture prenant le nom de tous les métiers, exigeait des femmes même un autre impôt que de lui créer des hommes. Travailler sans gagner, et aimer sans aimer. Coudre ! stupidement, sans trêve, pour d’autres qui seraient belles ! Les pauvres devaient à la joie des autres leur droit de souffrir, et pour vivre, elles devaient, elles qui faisaient de la vie, travailler ne pouvant suffire, vendre plus que leurs bras !

Mais toute cette souffrance était donc nécessaire ! Non. Inutile. Le tiers, le quart, de cette douleur-là — ce qu’on en ferait par plaisir — pour que tout le monde vive aurait été assez.

L’humanité souffrait. Et comme elle s’ennuyait !

Depuis des siècles, elle souffrait. Jadis plus que maintenant. Mais un roulement de tambour couvrait alors les cris. À présent, quoi ? On était tout à sa douleur. Il n’y avait rien eu depuis si longtemps ! Mal poignant, lancinant, atroce, dont rien ne distrait.