Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/235

Cette page n’a pas encore été corrigée
LES POÈTES
233


sances de Babylone, et le livre s’apaise presque en renoncement, en tout cas en hymne fataliste en un court poème, l’Abdication sur les Parvis, ces parvis étant, selon le langage de l’auteur, la seule partie visible, même pour le Voyant, des Temples de lumière où se trouverait sans doute toute connaissance du présent et du futur. Le poème n’analyse ou ne chante que du passé— Il le fait d’une voix harmonieuse, un peu trop sonore, uu peu monotonement éclatante ; M. Leconte est resté fidèle à la technique du Parnasse ; mais si parfois on peut lui reprocher d’utiliser des expressions qui sont devenues des clichés, comme la « magnificence horrible des crinières », il a souvent des strophes heureuses comme :


Aux pays où le toit adamantin du monde
S’abaisse comme un arc sous le doigt de l’archer
Si près de nous qu’on peut de la main te toucher
Et qu’on entend venir l’aurore comme une onde


et bien d’autres dignes d’étre lues en ce, livre qui est certainement, malgré ses défauts, un considérable effort.



M. Tristan Klingsor est un poète très doué. Il sait beaucoup de légendes, et il ne les raconte pas. Il se borne à faire allusion en de courtes pièces aux principaux personnages qui y vivent ; mais il les présente, quoique si bref, dans une toilette très à lui, et qui convient si bien à certains moments de ces pensées concrétées qui sont les anciens pages amoureux, les joueurs de viole, les fous de la cour de Trébizonde, etc., qu’on tombe d’accord avec lui pour une minute, très persuadé que son petit monde féerique est le vrai quitte à se reprendre après. Et ce petit monde féerique circule à travers un jardin, un décor de jardin, un peu mièvre, un peu arrangé, un peu minutieux, mais qui lui sied complètement. On y rencontre à côté de ces fous de cour et de ces pages, des ânes très Watteau mâchant des roses, et aussi des amoureux émus, mais ceux-là s’expriment en des pièces encore plus courtes que les autres. On y verra aussi le Petit Chaperon rouge et bien d’autres nobles personnages, car la lanterne magique de M. Tristan Klingsor a bien des images à nous montrer. J’ajoute qu’elle est fort bien allumée, car M. Tristan Klingsor est très clair, très précis, pas sec, mais très délimité, très linéaire, et ses ornements tiennent toujours à leur motif principal, aussi les chansons de M. Klingsor sont-elles en leurs rythmes nets et leurs couleurs claires, très agréables à entendre tant dans son premier livre les Filles-Fleurs qu’en son second, les Squelettes fleuris, tous deux très chantants et très plastiques, et originaux, ce qui est encore l’essentiel.

Dans un livre de M. Albert Boissière, l’Illusoire aventure', d’une langue très cherchée, pas toujours trouvée, de jolis rythmes et quelques chansons alertes et bien venues.

Gustave Kahn