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LES POÈTES
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ment étonnables et pour si peu de temps, et toute cette petite vie simple, ou plutôt de les dire très sobretnent.

Car, expliquer la nature et s’attacher à en traduire la poésie, ce n’est certes pas ambition neuve, mais c’est travail difficile ; l’écueil est pour la plupart de tomber en un malheureux étalage de sensibilité, lequel ne signifie pas autrement que l’auteur ait ressenti une émotion profonde.

Cette éloquence pastorale n’est pas sans solliciter en ce moment de jeunes cerveaux très aptes à la littérature et l’qn se reprend un peu beaucoup à nous reparler de l’allée de peupliers de la Princesse de Clèves et aussi des Harmonies de la Nature de Bernardin de Saint-Pierre, dont nous n’étions pas sans quelque notion. C’est peut-être une petite fausse note en une tentative d’ailleurs acceptable. Mais enfin quand M. Ghéon s’exclame sur l’extraordinaire beauté qu’il trouve à une fenêtre qui s’ouvre brusquement sur la campagne, nous l’écoutons, car il appuie pour nous sur un fait connu, il nous le rappelle en excellents termes, il touche ainsi au général, ceci dù surtout à la sobriété de son petit poème, allure et ton. Il eût à perte de vue verbalisé et décrit, il est fort peu probable que le plaisir littéraire de ses lecteurs l’eût suivi. Et encore une objection, je crois que deux vers de notre jeune poète (page 20) :


Mais que sont les rêves et les légendes
auprès d’un peu de vraie clarté blonde ?


irréprochables d’ailleurs en leur place, portent un peu plus loin que leur sens strict, et cela de par la volonté du poète.

Or, sans doute, rien ne vaut un peu de cette clarté, mais nous ne pouvons que la goûter, et littérairementquela traduire, si possible. Cette lumière a l’évidence d’un fait bienfaisant, l’évidence physique… le rêve et la légende, sans doute, c’est moins précis, moins éclatant, mais c’est en rapport au cerveau humain un fait aussi évident qu’une belle aube. Dirai-je que la création d’une belle légende, d’un beau mythe, d’un beau drame, qui devra beaucoup, j’en tombe d’accord, à l’existence des beautés naturelles, me paraîtra encore, même après la plus aimable vision de nature, la plus belle chose qui soit au monde, et que le repliement méditatif de l’homme sur lui-même me paraît un phénomène plus profond, moins près des simples apparences que les plus beaux décors terrestres, et que ceux-ci sont même peu de chose en eux-mêmes, qu’ils sont en sorte un théâtre préparé pour qu’il s’y joue une des minutes de l’homme, une minute de sa sagesse, ou une minute de sa passion, et que ce sont là les deux phénomènes du monde moral qui priment de haut, toute l’importance du monde physique. Mais cela nous entraînerait bien loin et, quand j’aurais démontré que j’ai raison,cela noterait rien au charme du livre de Ghéon, qui d’ailleurs me montrerait sa chanson si alertement pensive « Dans le jardin de la Vie « pour me montrer qu’il y a réfléchi.