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Wagner, il me faut des pastilles Géraudel[1]… Et alors, je m’interroge : que demande tout mon corps à la musique ? — car je ne parle pas de l’âme — son soulagement, je pense : comme si toutes les fonctions animales devaient être activées par des rythmes légers, hardis, débordants, sûrs d’eux-mêmes, comme si la vie d’airain et de plomb, sous l’action de mélodies dorées, délicates et douces comme l’huile, devait perdre sa lourdeur. Mon hypocondrie veut se reposer dans les anfractuosités et dans les précipices de la perfection : pour cela, il me faut de la musique. Mais Wagner rend malade. — Que m’importe le théâtre ? Que m’importent les convulsions de ses extases « morales » auxquelles le peuple — et qui n’est pas « peuple » — trouve son plaisir ! que m’importent les simagrées du comédien ! — on voit que je suis d’un naturel absolument anti-théâtral ; au fond de l’âme, j’ai contre le théâtre, cet art des masses par excellence[2], le dédain profond qu’a aujourd’hui tout artiste. Succès au théâtre — on descend dans mon estime jusqu’à disparition complète ; insuccès — je dresse les oreilles et je commence à considérer… Mais Wagner était précisément le contraire ; à côté du Wagner qui a fait la musique la plus simple qui existe, il y avait encore essentiellement l’homme de théâtre, le comédien, le mimomane le plus enthousiaste qu’il y ait peut être eu, et comme musicien encore… Soit dit en passant, s’il y a eu une théorie de Wagner que : « le drame est le but, la musique n’est que le moyen, » — sa pratique, au contraire, du commencement jusqu’à la fin fut « que l’attitude est le but, le drame et aussi la musique ne sont toujours que ses moyens ».

La musique n’est qu’un moyen de préciser, d’éclairer, de rendre plus pénétrants les gestes dramatiques, plus sensible le jeu de l’acteur, et le drame de Wagner n’est qu’un prétexte à de multiples et intéressantes attitudes ! Il avait, à côté de tous les autres instincts, les instincts tyranniques d’un grand comédien en toute chose et particulièrement, comme je l’ai déjà dit, en musique. J’ai démontré cela clairement une fois à un wagnérien pur sang[3], mais non sans peine ! Clarté et Wagnérisme ! Je n’en dis pas plus ! Il y avait sujet d’ajouter encore : « Qu’ils soient pourtant un peu plus honnêtes envers eux-mêmes ! Nous ne sommes pas à Bayreuth.

« À Bayreuth on n’est honnête que comme foule ; en tant qu’individu, on ment ; on se ment à soi-même. On laisse sa personnalité à la maison, quand on va à Bayreuth ; on renonce au droit de parler et de choisir ; on renonce à son propre goût, même à son courage, à ce courage que l’on a et que l’on exerce entre ses quatre murs contre Dieu et l’Univers.

« Personne, au théâtre, n’apporte le sens le plus fin de son art, bien moins encore l’artiste qui travaille pour le théâtre, — il y manque la solitude : tout ce qui est parfait n’exige aucun témoin… Au théâtre

  1. En français dans le texte.
  2. En français dans le texte.
  3. En français dans le texte.