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LES JOLIES BÊTES

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Joie a décollé la lettre fatale. Joie pleure dessus à faire avec ses mots de vagues dessins japonais. Joie a Tâme pleine de mauvaises ténèbres.

— Celui que j’aime. 11e m’aime pins. Alors, n est-ce pas ? Ce n’est plus la peine de vivre. Et une violente, irrésistible envie lui vient de chercher un danger, d’aller au devant d’un accident, d’assourdir, dans l’exoitation d’un péril, les coups par lesquels ce grand malheur, ce malheur uniqueau monde démolit toute la maison de son bonheur. Joie fait atteler le" deux chevaux de son mari ; ils ont une réputation farouche. Comme elle ne sait pas conduire.elle se voit déjà emballée, versée, fracassée, pourtant pas défigurée. Elle s’habille, avec l’élégance des dessous, afin que son mari ait un regret en voyant une si j0liepetite morte. Elle part le cœur battant, tragique, se sentant un peu ridicule. Ses yeux s’avancent hors de la têle,d’êlie attentive malgré son extrême détachement de la vie. Elle est üère, malgré elle, de son premier tournant, et sa peur d’accrocher une grosse charrette qu’elle croise lui donne chaud aux oreilles.

Les rouans procurent à Joie son second désappointement, la ramènent sauve.

Allons, c’est écrit ; elle vivra.

IV

Matho, dans le gilet duquel Joie a épanché sa douleur, avec la franchise des aines qui n’aiment point la gêne, — Matho a couvert sa femme de protestations, de fleurs et de cadeaux. Deux fois, il est allé la rechercher, car elle a fui l’intolérable conjugaison de l’infidèle.

Elle ne veut pas admettre qu’on puisse aimer ici et ailleurs. Et puis, en fait de sentiments, elle est propriétaire dans l’âme :

— Je n’aime pas qu’on boive à meme mon cœur. Elle n’a pas encore appris que, lorsqu’on aime, on doit préférer le bonheur de l’aimé à son bonheur personnel. Donc, si votre mari aime à courir, offrez-lui une bicyclette. Il n’en reviendra que plus vite vers vous ; sans doute. Elle n’a pas appris que l’intolérable se supporte comme le reste, et qu’il y a une élégance à bien souffrir. Il y a bien des choses qu’elle ne sait pas, la petite Joie. Il y en a qu’elle ne saura jamais.

Les maris sont d’excellents instructeurs... V

Matho trompeur, menteur et infidèle, a enseigné ces qualités à sa femme.