moins que son enseignement est très favorable aux puissances, en se basant sur le : « Rendez à César ce qui est de César ». Mais qu’est-ce donc qui est « de César » ? Dans l’admirable tragédie d’Ibsen sur Julien, l’empereur sophiste, Grégoire de Nazianze, est amené à reconnaître qu’il n’y a rien qui ne relève de Dieu ; en sorte que César est un rouage inutile, tout au plus, comme l’entendait Paul, l’apôtre, une verge destinée à éprouver la patience des chrétiens et à les forcer à se replier sur eux-mêmes. Quel sens précis donnerons-nous à la parole du Christ ? Elle s’éclaire par l’examen de la circonstance où elle fut prononcée. On montrait à Jésus une pièce de monnaie à l’effigie de Tibère et on lui demandait s’il fallait verser aux percepteurs impériaux une partie de cette monnaie que l’Auguste assumait la charge de frapper : « Mais, puisque c’est lui qui fabrique cette monnaie », répond le Christ, « payez-le donc de sa peine », c’est-à-dire, d’une façon générale : « si les autorités constituées vous rendent des services, payez ces services. » Et-voilà tout. Cette belle et simple définition des autorités légitimes est rendue plus sensible, je dirai même éclatante, et sans contestation possible, dans cette autre parole si admirable : « Les rois des nations les dominent, et c’est le plus fort qui est le premier. Mais il n’en sera pas ainsi chez vous : Le premier de tous sera celui qui rendra le plus de services aux autres. » Je m’empresse de convenir qu’à cette condition-là il n’y aurait pas beaucoup de gouvernements qui seraient légitimes. Et ce n’est pas sans raison que le Messie avait dit au début de sa prédication : « Croyez-vous que je sois venu apporter la paix au monde ? Détrompez-vous ! Je suis venu jeter un glaive dans le monde et allumer un incendie ! »
On prétendra, peut-être, que l’anarchisme chrétien est demeuré enseveli dans l’Évangile, sans que personne se souciât d’aller l’y chercher pour le mettre en pratique. Grave erreur ! Cette doctrine a été, est, et sera celle de l’Église, et il ne faut pas, pour le démontrer, secouer la poussière des temps oubliés.
Tout le monde sait que les premiers chrétiens appliquaient à la lettre les doctrines sociales de l’évangile : communauté des biens, repas communs (dont parle l’apôtre Paul). Ils avaient fini par s’affranchir complètement de l’État, soumettant leurs différends à l’arbitrage de la conscience publique, par application de cette parole : « Reprenez-vous entre frères, ou devant l’assemblée » ; mais ce qui était plus grave, ils méprisaient la patrie et refusaient le service militaire. Aussi n’est-il pas si étonnant que Tacite les ait traités d’« ennemis du genre humain», entendons « de la Société romaine ».
Ce qui est certainement moins connu, c’est la persistance de l’anarchisme pratique jusqu’au ve siècle de l’ère. Après le triomphe de Constantin, il y eut un épanouissement du communisme, extraordinaire : les riches partageaient leurs biens par indivis avec des hommes libres pauvres, des clients, des esclaves affranchis. Les consortia (c’était le nom de ces singulières communautés) se multiplièrent