pas l’opération de la table rase, sans périr dans les guerres civiles. Nos plans ménageraient une période transitoire… Oui. Si cela vous intéresse, je puis vous faire remettre une des affiches imprimées à l’avance et qui devaient être collées sur les murs de Paris, aux préliminaires de l’armistice.
— J’aimerais en connaître la teneur…
La dame me promit cet envoi.
— Vous verrez, ajouta-t-elle, que nous nous étions servis de l’organisation de l’armée, seule organisation fonctionnant bien, et mise à l’usage depuis des temps, pour les premières applications du nouveau régime. À l’armée militaire se substituait simplement, sans choc, l’armée agricole et industrielle. Les exercices étaient changés ; voilà tout.
— Alors, repris-je, rien de la mission que m’a conférée mon gouvernement, ne paraît devoir réussir.
— Vous m’excuserez, Monsieur. La Dictature ne peut encore répondre définitivement. Hier ont été fusillés, à Cavite, huit insurgés. Le gouverneur de Manille dénature la vérité dans les dépêches, comme son collègue de Cuba. Le Japon lui-même s’émeut de ces injustices et se prépare à doter le mouvement insurrectionnel d’une aide effective. Les conjonctures s’aggravent. Il faut de la prudence aux diplomates.
L’audience allait finir. La dame nerveuse se réinstalla dans son fauteuil blanc, s’éventa du mouchoir, croqua des pastilles, et, avec une de ces sautes de l’esprit familières à son sexe, me parla de mes compagnes, Pythie, Théa, demanda si leur fréquentation me séduisait. Je les louai de mon mieux.
Elle me dit encore que sa fonction sociale, à l’ordinaire l’occupait comme télégraphiste dans une gare de chemin de fer. Son groupe, ayant trouvé le moyen de simplifier la transmission téléphonique et télégraphique, avait été mis en candidature pour l’Oligarchie. On réforme partout les récepteurs des appareils, et c’est une œuvre énorme, d’autant que les pétitions publiques réclament la pose de téléphones en toutes les salles de tous les lieux habités.
La dame s’emballa sur la théorie téléphonique : non sans la pédanterie désobligeante dont semblent infectés tous les gens d’ici. Néanmoins je réussis à prendre congé.
La ville de Jupiter ne renferme rien de particulièrement remarquable. Elle possède un théâtre pareil à celui de Minerve, des restaurants-serres, des avenues courbes, des édifices à coupoles de verre, des nymphées, des docks énormes, des façades à émaux imagés, un temple assez riche, où l’on remise d’habitude la colossale image de la Vierge-Mère qui sert à orner les processions.
Dans les rues les vêtements blancs des oligarques n’attirent le respect ni le salut de personne, non plus que l’ironie. Ils sont des passants comme les autres. J’ai négligé de voir l’intérieur du théâtre, et de prendre part à la fête hebdomadaire, tant il est vrai que la pratique libre du plaisir vous lasse et rend vertueux.
Le nombre des statues de groupes est la chose curieuse de la cité.