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L’anarchisme à Rome

il y a 2000 ans
Tite-Live : livre 32, ch. 26.
— : — 39, — 8, 19, et 41.
— : — 40, — 37.


On était dans la première moitié du 11e siècle avant notre ère. Rome chancelait encore de l’ébranlement des guerres puniques, et des missionnaires errants, rêveurs échappés des sanctuaires de la Grèce en décomposition, allaient porter dans toute l’Europe les doctrines sociales mal connues de la religion mystérieuse de Bacchus. L’un d’eux vint en Italie. Tite-Live nous le dépeint comme un homme de basse extraction, ignorant des arts de la Grèce : il n’avait pas sucé le miel falsifié des sophistes, et son corps, au lieu de cette vigueur athlétique qui charmait les vieux Romains, était paré de la mollesse alanguie du Bacchus populaire. Il connut la matrone Annia Paculla et s’en fit aimer : c’était une grande dame de Capoue, que le sort avait élu pour l’année présidente des confréries de Vesta où n’entraient alors que des femmes de qualité.

Un jour Annia vint déclarer qu’elle avait été visitée par un dieu et que les immortels lui avaient révélé de quelle manière ils entendaient être honorés. Tout d’abord, il fallait briser les obstacles artificiels entre classes, entre sexes, et convier à l’initiation toutes les bonnes volontés ; elle porta de deux à douze les jours de réunion, et, pour vaincre les scrupules par la persuasion de l’exemple, elle initia elle-même ses deux fils.

Bien vite, les confréries se transformèrent en orgéons : une cotisation fut exigée de tous les membres et, grossie des dons volontaires des plus riches, se constitua une caisse commune, confiée à la garde de délégués, et assurant, toutes les nuits, aux membres de l’association, une table servie et un lit dressé ; et comme nulles conditions de rang, de nationalité ou de morale n’étaient imposées aux postulants, les conversions ne se firent pas attendre. On se réunissait la nuit, à l’écart, à Rtome, non loin du Tibre, dans le bois de Simila, aménagé jusque dans son sous-sol pour servir à la fois de temple aux initiations, de salle de banquet et de conférences, d’arsenal en vue des expéditions, et à l’occasion même, suivant les cas, de sûr refuge ou d’in pace. Les néophytes étaient introduits par les prétendus prêtres dans des lieux secrets et bien gardés, donnant sur le fleuve, tout ruisselants de lumière et résonnants du son joyeux des flûtes et des cymbales, où s’offrait à leurs yeux le tableau de ce bonheur facile et sans vergogne qu’ils devaient donner à l’humanité. Là on leur enseignait qu’il n’y a d’autre dieu que